Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

système militaire, les impôts indirects, les banques, le régime douanier. Or, pour arriver à une entente, il faudra obtenir l’assentiment de quatre assemblées, les deux sénats et les deux chambres basses. Si l’on échoue au sein de l’une d’elles, il faudra rétablir entre les deux moitiés de l’empire la ligne de douane qui les séparait avant 1848. S’agit-il d’un emprunt à contracter, les délégations pourront bien en déterminer l’emploi et les conditions ; mais le point capital de savoir si l’emprunt sera conclu ne peut être décidé que par les parlemens cisleithan et transleithan, où aucun des ministres communs ne pourra venir défendre son projet ni par lui-même, ni par un commissaire.

Ce n’est point parce qu’il permet de poursuivre les ministres en certains cas, qui ne se présentent presque jamais, que le principe de la responsabilité ministérielle est essentiel au régime constitutionnel ; c’est parce qu’il les force à gouverner le pays conformément aux vœux du parlement, qui lui-même représente la nation. Le gouvernement des majorités librement élues, voilà ce qui constitue le régime représentatif et le self-government. Or comment ce principe qui domine tout pourra-t-il s’appliquer dans le système de l’Ausgleich ? Conserver et diriger une majorité dans une seule assemblée est déjà bien difficile, même avec tout le prestige de l’autorité personnelle et de l’éloquence, et ici le ministère central devra s’appuyer sur deux majorités, l’une à Pesth, l’autre à Vienne, qu’il ne pourra contribuer ni à former, ni à convaincre, ni à guider. Que fera-t-il, si l’une le soutient tandis que l’autre veut le renverser par la délégation qu’elle nomme ?

Tout ce que nous venons d’indiquer ne constitue que des difficultés. Voici d’où pourrait naître le péril. Supposons une question grave sur laquelle les deux parties ne soient point d’accord. Il s’agit, par exemple d’une guerre avec la Prusse ou avec la France commandée par l’intérêt allemand, acceptée par la délégation cisleithanienne. La Hongrie, elle veut la paix. Néanmoins, quelques membres de la délégation hongroise votant avec ceux de l’autre assemblée, les crédits nécessaires aux arméniens sont accordés. Croit-on que les troupes et les finances hongroises se prêteraient à l’exécution d’une décision prise contrairement à la volonté de la majorité de la nation, et s’imagine-t-on que le mécanisme de lai constitution centrale résisterait à cette épreuve ? Le moment peut donc venir où les délégations deviendront une occasion de conflits et d’animosités de race, parce qu’une nation supportera difficilement de se voir liée ou entraînée par une résolution émanant de représentans qu’elle n’a pas élus. Elle se croira asservie à l’étranger ; elle le croira surtout, s’il règne entre les deux parties une de ces