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chères, elles composent une des jouissances les plus sensibles que lui présente son culte : lui refuserions-nous cet innocent plaisir ? Qu’il est doux pour des législateurs humains de pouvoir contenter à si peu de frais les vœux de la multitude ! Qu’il y a de grandeur dans une telle condescendance ! et quelle serait donc cette superstition philosophique qui nous préviendrait contre des cloches, à peu près comme une superstition populaire y attache les femmes de nos villages ?… »


Il eut beau dire, le lendemain de son rapport l’incrédulité philosophique prit s’a revanche : on le chansonna, on attacha à son nom des sobriquets burlesques, des refrains et des carillons en manière de charivaris[1]. Un travail noble, élevé, conciliateur, se perdit dans un torrent de dérision, de légèreté et d’insulte.

Philosophiquement et de loin, Camille Jordan nous apparaît, à cette heure de 1797, dans une position intermédiaire, tenant le milieu entre M. Necker, auteur de l’Importance des opinions religieuses en 1788, et M. de Chateaubriand, auteur du Génie du Christianisme en 1802, se rapprochant au fond du premier puisque du second, plus ami de la liberté réelle de tous les cultes que partisan de la domination d’un seul, éloquent et convaincu, donnant de haut et le premier, un signal de clémence et d’apaisement, mais le donnant à la veille d’une journée mauvaise, en face d’ennemis encore ardens, d’adversaires haineux, et ne faisant par là qu’irriter et hâter les méchans desseins d’un pouvoir central corrompu qui va être réduit, pour durer, à se faire conspirateur.

Quinze jours après environ, dans la séance du 16 messidor (4 juillet), la parole de Camille Jordan l’entraîna un peu plus loin qu’il n’eût fallu, et il lui échappa un de ces mots dont s’empare aussitôt et qu’envenime à plaisir la mauvaise foi des partis.. Le directoire avait adressé au conseil des cinq cents un message dans lequel il était rendu compte des crimes commis par des brigands connus sous le nom de chauffeurs ou de compagnons de Jésus, qui infestaient la commune de Lyon. La cité lyonnaise y était particulièrement incriminée : le patriotisme de Camille Jordan prit feu à

  1. Par exemple, il y eut le Din, din, dindon, vaudeville, dédié à Camille Jordan. En voici le dernier couplet :
    Ta vas donc pour ta récompense,
    Jordan-bourdon,
    Te dire : Il n’est clocher en France
    Ni clocheton
    D’où ne retentisse mon nom…
    Din din, din din, dindon, dindon.
    Il courut alors contre lui nombre de chansons pareilles, également plates, et qui n’avaient que le refrain. J’en fais grâce.