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Paul Sennyeï. Ceux-ci se rapprochèrent de M. Deák, simple avocat de Pesth, mais qui, par la pureté de son caractère, par la vigueur de son bon sens et par son patriotisme aussi éclairé qu’ardent, était devenu l’organe du grand parti libéral hongrois. Vers Pâques 1865, Deák fit paraître dans son journal, à Pesth, un manifeste conciliant, et la feuille de Vienne, die Debatte, publia en trois articles très remarqués le programme d’un accord que la Hongrie pourrait accepter. C’était le système du dualisme mitigé. La parité de droits serait reconnue aux deux moitiés de l’empire ; mais l’armée, les finances, les relations extérieures, seraient considérées comme objet d’intérêt général et se régleraient de commun accord, de façon à conserver à l’état sa force vis-à-vis de l’étranger.

Tout le monde à Vienne sentait que, menacée d’un conflit avec la Prusse à propos de la malheureuse affaire des duchés, qui s’envenimait chaque jour davantage, l’Autriche devait se réconcilier avec la Hongrie. M. de Kaisersfeld, président actuel de la chambre basse, le proclama avec une éloquence entraînante au sein du reichsrath. L’empereur le comprit aussi et fit au mois de juin cette visite royale qui réveilla partout l’espoir et qui a été racontée ici même avec tant de charme et une si parfaite connaissance de la situation[1] ; mais, pour régler l’entente avec la Hongrie, M. de Schmerling n’était pas, croyait-on, l’homme qu’il fallait : il était trop impopulaire de l’autre côté de la Leitha. C’est alors que se constitua le ministère Belcredi. D’origine italienne, grand propriétaire en Moravie, ancien statthalter de Bohême, le comte Belcredi appartenait au parti fédéraliste. Par le manifeste du 20 septembre 1865, il suspendit d’abord la constitution de février 1861, afin sans doute d’arriver à une organisation nouvelle qui pût satisfaire toutes les nationalités. Cette mesure blessa profondément les Allemands, très attachés déjà au nouveau régime parlementaire, qui en effet venait de relever l’Autriche aux yeux de l’Europe. Quand on voulut s’entendre avec la diète hongroise, que l’empereur alla ouvrir en personne au mois de décembre, des difficultés imprévues s’élevèrent. Les Magyars réclamaient avant tout « la continuité du droit, » c’est-à-dire le rétablissement de leur constitution et un ministère hongrois responsable. Citait tout simplement le dualisme. Or ni l’empereur ni le comte Belcredi n’étaient prêts à pousser les concessions jusque-là. Le comte Belcredi aurait voulu faire accepter le fédéralisme sous la forme du gruppen-system. On aurait groupé les pays, d’après-leur langue et leur origine, en plusieurs états assez semblables à ceux qui forment les États-Unis d’Amérique : la Hongrie, — la

  1. Voyez, dans la Revue du 1er août 1865, l’article intitulé Deux visites royales.