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La Hongrie, ayant, disait-on, perdu tout droit en s’insurgeant contre l’autorité impériale, fut traitée en pays conquis, ses institutions libres furent anéanties, ses administrateurs électifs remplacés par des fonctionnaires royaux, son territoire ébréché, toutes les races hostiles aux Magyars encouragées dans leur opposition, les patriotes exilés ou emprisonnés[1]. C’est à cette époque que se réveilla, plus envenimée que jamais, l’antique animosité des Hongrois contre les Allemands, qui persiste encore malgré l’entente actuelle. Il suffit en Hongrie de prononcer le nom abhorré de Bach pour que les yeux s’allument et que des paroles de fureur tombent de lèvres frémissantes. La bureaucratie viennoise déploya une fiévreuse activité pour reconstituer sur des bases nouvelles l’empire désormais centralisé ; mais soit incapacité, soit que les difficultés fussent réellement insurmontables, elle échoua misérablement. Ce qui était fait un jour était défait le lendemain ; toutes les instructions étaient inévitablement suivies de contre-instructions, les règlemens pédantesquement élaborés dans la capitale étaient inexécutables aux extrémités de l’empire, où mœurs, langue, religion, sentimens, tout était différent. Un mot connu peut résumer cette époque : ordre, contre-ordre, désordre. Un membre du parlement anglais qui l’a bien étudiée, M. Grant Duff, cite un exemple curieux de cette activité impuissante : de 1849 à 1860, le ministère de la guerre fut réorganisé cinq fois, le service médical quatre fois, le corps des ingénieurs trois fois, l’organisation judiciaire trois fois. Les finances s’embarrassaient chaque année de plus en plus : malgré des impôts triplés, la dette s’était élevée de 1,200 millions de florins à 2,290 millions, et le suicide du ministre Bruck en 1859 vint jeter une désolante lueur sur la moralité de la haute administration. La politique extérieure aboutissait à des résultats non moins désastreux. Les harangues patriotiques de Kossuth enflammaient en Angleterre, en Amérique, sur tout le continent, le sentiment libéral contre « la tyrannie autrichienne. » Lors de la guerre d’Orient, la célèbre ingratitude prédite par Schwarzenberg avait blessé la Russie au cœur. En Allemagne, la Prusse gagnait tout le terrain que perdait sa rivale. Dans le midi de l’Europe, la France s’engageait avec l’Italie, et ainsi l’Autriche se trouva isolée avec Rome pour seul allié.

Après la paix de Villafranca, l’empereur, éclairé par les revers,

  1. La plupart des membres du cabinet hongrois sont d’anciens exilés, ainsi qu’un grand nombre de représentans. On rapporte à ce sujet un mot piquant du comte Jules Andrassy, en ce moment président du conseil. Lors de sa visite à Bude, en 1865, l’empereur, l’apercevant, lui dit : « Eh bien ! comte, où avez-vous été depuis tant d’années qu’on ne vous a plus vu ? — En exil, sire, » répondit le magnat.