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la « Cisleithanie[1]. » Seuls parmi les Slaves, les Polonais acceptent le système actuel, parce que, détestant la Russie, ils sont prêts à approuver tout ce qui paraît devoir fortifier l’Autriche, et aussi parce qu’ils comptent sortir de l’empire par le rétablissement de la Pologne. Ce simple exposé des trois systèmes de reconstruction de l’Autriche fait déjà entrevoir les difficultés que doivent rencontrer les ministres dirigeans, car il est impossible d’adopter une de ces solutions sans soulever l’opposition violente et souvent factieuse des partisans des deux autres. Un résumé rapide des essais tentés pour sortir de cette impasse, depuis 1848, fera encore mieux apprécier les embarras présens.

L’empereur François-Joseph, arrivé au trône le 2 décembre 1848, mit fin au parlement autrichien qui agonisait à Kremsier, et promulgua le 4 mars 1849, pour tout l’empire, y compris la Hongrie, une constitution fondant un état unitaire moderne, avec un régime représentatif et des institutions libérales. Les nationalités, vaincues sur les champs de bataille, auraient sans doute accueilli avec joie cette constitution qui consacrait les droits essentiels qu’elles réclamaient. Elles avaient applaudi au manifeste d’Olmutz du 2 décembre, où l’empereur disait qu’en mettant sur sa tête « les couronnes » de son empire, il avait l’intention de le rajeunir par les principes de la vraie liberté, de l’égalité des droits pour toutes les nations de ses états, de l’égalité de tous les citoyens devant la loi et de la participation de tous à la confection des lois ; mais la constitution du 4 mars ne fut pas mise en pratique, et une patente impériale du 31 décembre 1851 l’abolit formellement.

En l’absence de tout pacte fondamental et après la mort du prince de Schwarzenberg, M. Bach tenta de rétablir l’ancien absolutisme en s’efforçant de consolider l’unité de l’empire par la germanisation des nationalités récalcitrantes. Pour s’assurer le concours actif et dévoué du clergé et pour extirper les fermens révolutionnaires que Joseph II avait introduits dans la législation autrichienne, il conclut avec Rome le fameux concordat de 1855.

  1. La situation de l’Autriche est en effet si extraordinaire, si engagée encore dans les formes du moyen âge, qu’il est impossible de trouver des mots justes, même pour en parler. Si je parle de la nation autrichienne, dix nationalités au moins riront de ma naïveté. Si je dis l’empire, la Hongrie réclamera en invoquant son nom historique de royaume de saint Etienne, lequel n’a jamais fait partie de l’empire. Si je me sers du terme les « états héréditaires » ou la « Cisleithanie, » la Bohème se refusera à être confondue avec les autres pays à qui d’ordinaire ce nom s’applique. Si je hasarde ce mot « les provinces autrichiennes, » aussitôt, en vingt dialectes différens, éclatent les plus furieuses réclamations : « nous sommes des états indépendans ayant notre existence autonome, notre histoire, nos droits, et gare à qui les méconnaît ! » Voilà le chaos qu’a préparé le despotisme.