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les Slaves, même les Polonais, sont partisans de ce système, parce qu’étant les plus nombreux ils espéreraient pouvoir exercer dans les diètes provinciales une influence proportionnée à leur nombre. C’est aussi la solution en faveur de laquelle ont penché les écrivains qui dans la Revue ont touché à cette question, comme MM. Saint-René Taillandier, Cyprien Robert, Emile de Langsdorff. On est très étonné de trouver dans le même camp ceux que l’on appelle « les féodaux, » à la tête desquels se trouve l’un des hommes les plus en vue de l’Autriche, le comte Léo Thun[1]. Ils réclament énergiquement le fédéralisme parce qu’ils redoutent le parlement central, où dominent les savans, les professeurs et les bourgeois, tous également infectés d’idées révolutionnaires, et qu’ils s’imaginent que dans les diètes provinciales l’influence du clergé, de la haute noblesse et des grands propriétaires l’emporterait. Ce système a pour adversaires d’abord les Allemands, qui sont convaincus qu’en donnant la prédominance aux Slaves il conduirait à la dislocation de l’empire et au triomphe du panslavisme, ensuite l’empereur et ceux qui tiennent avant tout au principe monarchique, parce que cette organisation nouvelle réduirait, pensent-ils, à presque rien l’autorité du souverain et aboutirait à l’établissement d’une république fédérative sous le nom d’empire, enfin les Hongrois, qui ne veulent pas être rangés sur la même ligne que les autres états confédérés, et qui ne consentent point à ce qu’une assemblée commune, où ils ne seraient pas en majorité, dispose de l’argent et des soldats du royaume de saint Etienne.

  1. M. le comte Léo Thun vient d’adresser, il y a quelques jours, au président de la chambre des seigneurs du reichsrath, en son nom et au nom de ses collègues féodaux, les princes de Salm, de Lobkowitz et les comtes Harrach, Nostitz, Czernin et Bucquoi, une lettre pour l’informer qu’ils renoncent à leur siège dans cette assemblée, « qui à l’époque où ils y furent appelés était une institution bien différente de ce qu’elle est maintenant. » Le comte Thun avait déjà déclaré précédemment qu’il ne se rendait au sein du reichsrath que pour obéir à l’appel de l’empereur et pour exprimer son opinion sur la situation, mais qu’il ne reconnaissait pas l’existence légale de cette assemblée. Il est toutefois impossible de ne pas appliquer à la retraite du comte Thun et des féodaux l’épithète de factieuse dans le sens que les Anglais attachent à cette expression parlementaire. Le système appliqué maintenant n’est certes pas le meilleur ; mais, comme il est le seul possible pour le moment, s’efforcer de le renverser, c’est travailler au bouleversement de l’empire. Ceux qui voudront connaître les idées des fédéralistes peuvent lire un remarquable discours du comte Thun publié sous le titre de Die staatsrechtliche Zweispaltung OEsterreichs, pour la nuance féodale, — le discours de M. Rieger publié en français sous le titre le Royaume de Bohême et l’état autrichien, pour la nuance tchèque, — et enfin deux articles parus dans le Westminster Review, Situation in Austria (avril 1866), et Dualism in Austria (octobre 1867), émanant d’un écrivain parfaitement renseigné, mais trop dominé, je crois, par les opinions fédéralistes qu’il a adoptées.