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à la société pour traverser les crises où son existence est en jeu. Le despotisme engendre la corruption des mœurs, comme l’eau stagnante produit la boue ; il étouffe tout esprit de critique, et cependant, comme le remarque M. Mill, ce n’est que par la critique que les nations progressent. C’est faute de cet esprit que les peuples de l’Orient, les Assyriens, les Égyptiens, les Chinois, sont restés stationnaires. Les Grecs et les Juifs ont sauvé l’humanité, parce que l’esprit critique était représenté chez les uns par les philosophes, chez les autres par les prophètes, qui ont jeté dans le monde occidental l’idée révolutionnaire de l’égalité des hommes et de l’émancipation des pauvres. Toute nation qui interdira la critique au sujet des choses qui l’intéressent le plus, — sa religion, son gouvernement, ses lois, — ne pourra, au bout d’un certain temps, échapper à la décadence, quels que soient les avantages exceptionnels dont la nature l’ait favorisée. Je n’en connais pas de preuve plus manifeste que l’exemple de l’Autriche, assiégée aujourd’hui par toutes les difficultés que le despotisme paternel de Metternich a accumulées pendant un règne toujours heureux de quarante ans.

Si les états autrichiens avaient été situés dans une île, sans communication avec le reste de l’univers, le système de Metternich aurait peut-être réussi ; mais le moment devait venir où les idées modernes, longtemps exclues, pénétreraient enfin dans l’empire. Elles commencèrent à l’agiter dès 1846, puis la révolution de février, ébranlant les trônes et soulevant les peuples, appela aux armes toutes les animosités aigries par la compression et avides de représailles. L’Autriche était incapable de résister à un pareil choc. Elle tomba dans le chaos. Allemands, Italiens, Tchèques, Croates, Roumains, Serbes, Hongrois, se ruèrent les uns sur les autres, et cette guerre de races, la plus épouvantable de toutes parce qu’elle aboutit à l’extermination, semblait conduire l’empire des Habsbourg à une inévitable dissolution. Nul n’a oublié avec quelle habileté le prince de Schwarzenberg profita de la haine même de ces nationalités pour les vaincre les unes par les autres et pour restaurer le pouvoir absolu.


II

Nous venons de voir comment s’est formé l’empire autrichien et les circonstances diverses qui ont empêché les différens pays dont il se compose de se fusionner en un état homogène, et unifié. Pour qu’on puisse comprendre la constitution actuelle, il faut rappeler encore les nombreuses tentatives faites depuis 1848 pour trouver