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moins une liberté générale et entière, efficace et sincère dans son application.

Discutant les conditions essentielles de cette liberté, Camille Jordan en venait à montrer l’iniquité et l’inutilité du serment ; il rappelait ce dilemme si simple et que chacun, disait-il, répétait au dehors : « Les bons seront fidèles sans serment, les méchans seront rebelles malgré tous les sermens. » Le loi ne distinguait plus le prêtre du simple citoyen : pourquoi donc l’en distinguer sur ce seul article du serment ? pourquoi ne pas le laisser se renfermer en cela dans le silence des conditions privées ? « La loi n’a pas connu le prêtre pour l’honorer, elle ne doit pas le connaître pour le soupçonner. » Il expliquait comment quantité d’honnêtes ecclésiastiques, tout prêts d’ailleurs à obéir aux lois, s’étaient refusés par scrupule à prêter ce serment qu’on exigeait d’eux et qui leur semblait receler des pièges pour leur conscience.

Les raisons politiques, tirées de l’état présent des esprits, ne manquaient pas à l’argumentation de Camille Jordan : il les développait pleinement et les mettait en lumière ; mais elles étaient vraies alors et avouées, ces raisons de prudence sociale et de sagesse, partout autre part qu’au sein des corps officiels, pour qui l’intérêt personnel et l’instinct de conservation offusquaient le droit, et qui, sans cesse sur la défensive et se sentant menacés, n’avaient de prochain salut et de ressource que dans une crise violente. Auprès d’eux, l’appel au calme et à la concorde, ce vœu déjà presque unanime du pays, était encore prématuré et intempestif jusqu’à paraître séditieux. Dans ces assemblées politiques de l’an V, composées d’élémens ennemis et inconciliables, trop de levains contraires rapprochés et mis en contact fermentaient violemment et allaient produire de nouveaux éclats. On ne vit, on ne fit semblant de voir dans le rapport de Camille Jordan que la requête, qu’il appuya avec détail et une sorte de complaisance où se mêlait du pathétique, en faveur du rétablissement des cloches. Il y avait déjà par avance un peu du Génie du Christianisme dans son accent : c’était trop tôt et ce n’était pas le lieu. Cette partie finale de son rapport fut celle à laquelle la malveillance s’arrêta pour tourner le tout en ridicule. Il avait fait remarquer pourtant que la loi qui interdisait ces terribles cloches n’était guère observée que dans les villes, qu’elle était généralement violée dans les campagnes, que ces cloches proscrites sonnaient encore, et qu’elles ne sonnaient ni pour le tocsin ni pour la contre-révolution, que le seul abus qu’elles présentaient pour le moment, était l’inexécution d’une loi existante ; il ajoutait :

« Ces cloches sont non-seulement utiles au peuple, elles lui sont