Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Prusse méprisait. Dur pour lui-même, plein de bonté pour les autres, il ne sut jamais rien refuser aux malheureux, ni rien accorder à ses plaisirs. D’une intelligence supérieure, travailleur infatigable, il tenta de résoudre les deux questions qui aujourd’hui encore menacent le repos de l’Autriche, celle des rapports de l’état et de l’église et celle de l’organisation politique de l’empire. Malgré ses brillantes qualités, il ne réussit à rien, et mourut de douleur d’avoir échoué. L’impatience de bien faire le perdit : il manquait de ce sens pratique qui fait mesurer exactement les moyens au but. Comme le disait Frédéric II, il voulait avancer le pied droit quand le pied gauche n’était pas encore posé à terre. Il aspirait à imiter ces législateurs antiques qui, comme Minos ou Numa, instituent une nation ; il ne savait pas que les peuples modernes ne supportent que les lois qu’ils se donnent à eux-mêmes. Tout pour le peuple était sa devise ; tout par le peuple est celle des temps démocratiques. Il laissa les Pays-Bas soulevés et la Hongrie à demi insurgée. Il avait refusé de se faire couronner à Presbourg pour ne pas jurer de respecter les libertés hongroises, qu’il jugeait incompatibles avec une bonne administration et avec la puissance de l’état ; mais il fut obligé de céder, et la veille de sa mort il mettait à néant toutes les mesures qu’il avait imposées à la Hongrie. Le problème de l’organisation politique de l’état autrichien restait donc à résoudre.

Quand les victoires de Napoléon eurent jeté bas l’édifice vermoulu de l’empire germanique, François Ier, par des lettres patentes du 1er août 1804, créa le nom nouveau d’empire d’Autriche ; il déclara en même temps que ses royaumes et pays héréditaires conserveraient leurs constitutions, titres et privilèges, et que le couronnement des souverains comme rois de Hongrie et de Bohême devrait avoir lieu dans les mêmes formes que par le passé. L’autonomie, l’existence individuelle de chaque pays, étant ainsi conservées et le droit historique respecté, aucun lien nouveau ne vint fondre en un tout organique les nationalités distinctes que contenait le nouvel empire. C’est en qualité de propriétaire que François Ier abandonna à Napoléon les diverses contrées que lui arrachait la victoire, et c’est encore en la même qualité, exactement comme aux siècles passés, que l’empereur François-Joseph a cédé à Napoléon III la Lombardie et la Vénétie, sans consulter le peuple autrichien sur un démembrement territorial qui, d’après les principes modernes, ne peut se faire que du consentement de la nation.

Pendant les années de paix de 1815 à 1848, le travail d’unification et de consolidation de l’empire aurait pu s’accomplir lentement et sûrement, non par la main du pouvoir, qui irrite les