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un grand esprit de suite, était déjà ébauchée à la mort de Louis XI. Elle ne s’établit en Autriche qu’au XVIIe siècle, après que Ferdinand II eut chassé et exterminé les hérétiques et enlevé à la Bohême son autonomie. Léopold, appuyé sur une armée permanente de 74,000 hommes, essaya de transformer l’Autriche en un état unitaire comme la France : il créa une police régulière, fit régner l’ordre, réforma les abus et publia un code civil. L’idéal qu’il poursuivait était celui qu’on voyait si admirablement réalisé en Espagne : uniformité, régularité en toutes choses, le pouvoir du souverain absolu et sans contrôle, nulle dissidence en matière de foi, l’initiative individuelle remplacée par l’obéissance passive, les citoyens dépouillés de toute action sur la marche des affaires, la liberté traquée, punie comme un délit non moins que l’hérésie, l’ordre enfin, mais l’ordre à la façon d’un couvent ou d’une caserne. Léopold ne réussit pas aussi complètement que Louis XIV. Il ne put venir à bout de vaincre les Hongrois, qui, grâce à une indomptable énergie qu’un siècle de luttes ne découragea point, conservèrent leur antique constitution et leurs libertés. Dès lors s’ébaucha ce dualisme qu’une convention récente vient d’établir en Autriche : d’un côté les pays de la couronne de saint Etienne formant une espèce de république féodale, de l’autre les états héréditaires gouvernés despotiquement par le souverain. Le travail d’unification par lequel des élémens les plus divers les Bourbons formèrent la nationalité française, les Habsbourg n’arrivèrent point à l’accomplir dans leurs états. Pour y parvenir, il aurait fallu assurer pendant très longtemps à l’une des races une prédominance complète. C’est à la race allemande que ce rôle aurait dû revenir, puisque c’était celle de la dynastie et de ses principaux fonctionnaires. Pour différens motifs, la germanisation échoua : d’abord les Allemands n’étaient pas assez nombreux, la Hongrie et ses partes adnexœ leur demeurèrent fermées, puis la race slave, vaincue avec les hussites, conserva obscurément, presqu’à l’insu d’elle-même, mais obstinément sa langue, ses traditions, son génie propre ; enfin la dynastie représentait, non le sentiment et les principes germaniques, mais les idées de l’unité latine empruntées au midi et peu applicables à des populations qui avaient joui jusqu’au XVIIe siècle d’une grande liberté et d’un développement individuel. C’est ainsi que les trois grandes nationalités de l’Autriche actuelle, Allemands, Magyares et Slaves, restèrent unies par un lien nominal, mais sans se fusionner, et que le problème de la constitution d’un état viable, résolu ailleurs à la sortie du moyen âge, ne l’est pas encore maintenant dans l’empire danubien.

Après Léopold, Joseph Ier, monarque intelligent, brave, tolérant,