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n’était ni un état unifié comme la France ou l’Espagne, ni un état fédératif comme la Suisse ou les États-Unis. Son nom même n’avait un sens précis qu’en tant qu’il s’appliquait à l’archiduché d’Autriche. Quand Français Ier, déposant la couronne impériale élective, prit en 1804 le titre d’empereur d’Autriche, il ne constitua point par ce fait un état autrichien, car il s’engagea au contraire à respecter l’existence indépendante et les droits historiques des différens pays dont il était le souverain. Naguère encore, quand on parlait de l’Autriche, on se servait d’un mot auquel rien de réel ne correspondait, mais qui signifiait l’ensemble des nationalités distinctes réunies sous le sceptre de la maison de Habsbourg. Aucun lien organique ne les rattachait les unes aux autres. Chacune d’elles avait sa constitution à part, ses chartes, ses privilèges, ses lois. Elles ne semblaient former un tout que parce qu’elles appartenaient à la même dynastie, à peu près comme des domaines séparés, n’ayant de commun que d’être tous la propriété de la même famille qui les a acquis à des époques et à des titres divers, et qui peut les céder, les hypothéquer ou les donner en dot à son gré. Un pareil droit politique est tellement opposé à nos idées actuelles que, quoiqu’il s’offre à nous partout dans le passé, nous avons beaucoup de peine à nous le figurer comme une réalité contemporaine. Pourtant c’est cet ordre de choses qu’il faut bien se représenter, si l’on veut comprendre les difficultés que rencontre la réorganisation politique de l’Autriche. Les titres que porte l’empereur suffisent pour nous avertir que nous sommes encore en présence d’une situation qui remonte au moyen âge[1]. Ces titres, les voici tels qu’ils figurent en tête des actes publics : « Nous, par la grâce de Dieu, empereur d’Autriche, roi apostolique de Hongrie, roi de Bohême, de Dalmatie, de Croatie, de Slavonie, de Galicie, de Lodomérie, de Rama, de Serbie, de Roumanie et de Bulgarie, roi aussi de Lombardie, d’Illyrie et de Jérusalem ; archiduc d’Autriche, archiduc de Toscane, duc de Lorraine, Salzbourg, Styrie, Carinthie et Carniole ; grand-prince de Transylvanie, suprême comte des Szeklers, margrave de Moravie, duc de Silésie, Modène, Parme, Plaisance, Guastalla, Frioul, Raguse, Zara, etc ;

  1. L’opposition entre le droit politique ancien et celui qui tend à triompher partout aujourd’hui, a été parfaitement démontrée par M. Albert de Broglie dans un article récent sur la Diplomatie et les principes de la Révolution (voyez la Revue du 1er février 1868). L’Autriche, obstinément maintenue par ses gouvernans dans le droit ancien, doit entrer brusquement dans la pratique des principes modernes ; de là l’origine de la crise qu’elle traverse.