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découvert dans le Nouveau Testament. Les lecteurs de la Revue connaissent les principaux résultats auxquels l’exégèse est arrivée. Les livres du Nouveau Testament, quand on analyse les tendances de chacun d’eux, se séparent en deux groupes : le groupe judéo-chrétien et le groupe helléno-chrétien. L’Évangile de Matthieu peut être pris pour type des ouvrages du premier. Certaines des épîtres attribuées à Paul et surtout l’Évangile de Jean sont l’expression la plus élevée des doctrines qui caractérisent le deuxième. Cet Évangile de Jean marque dans l’histoire du christianisme un moment solennel. Il est le dernier terme de la transformation de doctrine par laquelle le christianisme, s’appropriant le plus pur de la philosophie antique, se rendit capable et digne de lui succéder en la perfectionnant. Ce monument de la foi chrétienne à sa période de développement et d’expansion la plus brillante paraît avoir été écrit vers l’an 155 de notre ère par un gnostique d’Alexandrie qui n’avait d’ailleurs rien de commun que le nom avec l’auteur de l’Apocalypse. M. Huet incline à penser que l’Évangile de Jean fut rédigé dans le dessein très arrêté de ruiner les évangiles judéo-chrétiens, et que nombre de passages de la vie du maître y ont été sciemment soit défigurés, soit inventés de toutes pièces ; c’est une hypothèse, et malgré la solide érudition avec laquelle elle est défendue, on ne peut s’empêcher de la trouver un peu extrême. Il faut se faire une certaine violence pour se figurer le génie original et profond auquel nous devons le quatrième évangile pénétré d’une mauvaise foi aussi décidée, au lieu d’admettre qu’il a coordonné et condensé dans cet ouvrage, en imprimant à l’ensemble le sceau d’une robuste personnalité, les traditions qui avaient cours dans la communauté chrétienne dont il faisait partie.

Sur plusieurs autres points et notamment sur diverses circonstances de la passion du Christ, M. Huet a encore eu recours à l’hypothèse, et indiqué comment, selon lui, les choses ont dû se passer. Bien que ses conjectures restent à l’état de conjectures, elles nous paraissent serrer la vérité de très près, et on doit lui tenir compte de cet effort pour faire faire un pas de plus à l’histoire d’une période obscure. Maniée avec précaution, soumise à un contrôle sévère, l’hypothèse est un procédé de recherche scientifique parfaitement légitime. Il faudra bien en venir à écrire les véritables annales de ce temps si intéressant pour nous. Seule, la critique n’y parviendrait pas, ce n’est pas son métier. Son métier, c’est de commenter des textes, de constater des interpolations, de faire justice des légendes, de déblayer le terrain devant celui qui voudra retrouver les faits véritables. L’Allemagne s’en est tenue là. En France, où l’on aime à pousser à fond les besognes qu’on entreprend, la seconde partie de la tâche a résolument été abordée. Après la poursuite du vrai par les méthodes négatives, il a paru que le moment était arrivé de le conquérir et de l’affirmer positivement. Le livre de M. Huet vient utilement en aide à cette élaboration de l’histoire.