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ne se réfugia-t-il pas en Suisse, un Talleyrand en Angleterre ? Et, pour citer de plus nobles exemples, qui d’entre vous, Lyonnais, ne chercha point à dérober sa tête à la hache du bourreau ? On nous appelle émigrés à ce titre ! Oh ! la belle émigration ! oh ! l’honorable proscription ! Et c’est ainsi que nos droits eux-mêmes à la confiance du peuple sont devenus les prétextes pour nous calomnier auprès de lui… »


Au commencement de 1797, à peine âgé de vingt-six ans, Camille Jordan fut porté et nommé à Lyon d’une voix unanime dans les élections pour le renouvellement du second tiers du conseil des cinq cents. Sa véritable carrière politique commence. Il est alors dans l’assemblée sur la même ligne que Royer-Collard, avec lequel il noue alliance au nom de la justice, que tous deux défendent et dont ils voudraient inaugurer le règne à la place des audaces de toute sorte, des coups d’état en sens contraires et des proscriptions sans cesse menaçantes. Mais Camille se met un peu plus en avant que Royer-Collard, il se découvre davantage ; sa parole est plus véhémente, plus impétueuse, et il va quelquefois jusqu’à braver et à blesser l’adversaire.

Le grand acte de Camille Jordan au conseil des cinq cents fut en apparence un acte de pacification et de réconciliation, mais qui, tombant dans un milieu inflammable, suscita à l’instant bien des animosités et des colères, je veux parler de son rapport sur la police des cultes (séance du 29 prairial an V, 17 juin 1797). Le courant de l’opinion, laissé à lui-même, était à cette époque pour une réparation des injustices commises, des oppressions trop prolongées. Un grand nombre de pétitions arrivaient de toutes parts au conseil des cinq cents. Quantité de communes réclamaient leur église, leur presbytère, leurs cloches, les signes extérieurs du culte. Le rapport de Camille Jordan donnait satisfaction à ces demandes. Il s’appuya directement, dès le principe, sur l’article de la constitution qui déclarait que nul ne pouvait être empêché, en se conformant aux lois, de professer le culte qu’il avait choisi.


« La volonté publique, disait-il, sur d’autres points de notre législation, a pu changer ; elle a pu ne pas se prononcer toujours avec précision et clarté : ici elle est unanime, constante, éclatante. Entendez ces voix qui s’élèvent de toutes les parties de la France ; faites-les retentir, vous surtout qui, naguère répandus dans les départements, avez recueilli la libre expression des derniers vœux du peuple ! Je vous en prends à témoin : qu’avez-vous vu dans le sein des familles ? Qu’avez-vous entendu dans les assemblées primaires et électorales ? Quelles recommandations se mêlaient aux touchantes acclamations dont vous fûtes environnés ? Partout vos concitoyens réclament le libre exercice de tous les cultes ; partout ces hommes simples et bons qui couvrent nos campagnes et les