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près de nous, en Flandre, d’autres preuves de cette action fertilisante. La chimie n’en rend pas moins tous les jours d’immenses services à l’agriculture. Elle nous suggère, quand le sol est arrivé à un haut degré de production, l’emploi d’engrais spéciaux, dont le véritable nom est celui d’engrais auxiliaires ou supplémentaires. Quand le terrain est naturellement infertile, elle nous apprend à connaître ce qui lui manque, et à lui donner, non ce qu’il a perdu, mais ce qu’il n’a jamais eu. La nature a refusé à beaucoup de terrains l’élément calcaire par exemple ; ce n’est pas leur rendre ce que leur a enlevé la culture que d’y apporter de la chaux ou de la marne, c’est faire le sol et non le réparer. L’unique tort de la chimie serait de nier ce qu’elle ne peut pas encore expliquer. La théorie chimique de l’épuisement absolu va beaucoup plus loin que la fameuse théorie de Malthus, car Malthus admet un accroissement progressif de l’agriculture et de la population, pourvu qu’il ne soit pas trop rapide, tandis que le système de l’épuisement chimique conduit à un arrêt immédiat et même à une décadence inévitable.

Admirons donc la ferme de Masny, mais sans en tirer de conséquences trop absolues. Pour la nature et la répartition des cultures, pour l’énormité du capital d’exploitation, pour la proportion du produit net, pour le mode de renouvellement des substances exportées, cette ferme a bien peu d’analogues. Recommandons l’élévation aussi grande que possible du capital d’exploitation et par suite du bénéfice qu’il procure, mais sans porter atteinte à la rente du sol. Conseillons l’emploi des engrais auxiliaires, sans les présenter comme les seuls moyens de salut. Constatons la richesse produite par la betterave à sucre, sans prétendre la généraliser. Il n’y a qu’un système qui puisse s’appliquer à tous les cas, à la petite culture comme à la grande, aux pays pauvres comme aux pays riches : c’est l’assolement alterne avec ou sans base de prairies naturelles, en y ajoutant l’engrais humain. Avant tout, le sol doit se réparer et s’enrichir par lui-même, les engrais auxiliaires ne viennent qu’après.

M. Barral ne se contente pas de cette étude approfondie sur la ferme de Masny, il se propose de passer en revue les principales exploitations du département du Nord. Nous ne pouvons que le féliciter de cette entreprise. L’agriculture n’est plus une routine aveugle, elle devient à la fois une science et une industrie. C’est rendre au pays le plus grand des services que d’appeler l’attention sur les meilleurs modèles. On vient de voir combien cet ordre d’intérêts justifie les méditations de la théorie et les efforts de la pratique. Tout le mécanisme social est engagé dans les questions d’économie rurale, et les sciences physiques y trouvent leurs principales applications.

L. de Lavergne.