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a stérilisé l’Asie-Mineure par exemple, les révolutions et les guerres ont détruit les cultivateurs, l’inculture a suivi la dépopulation. La fertilité revient partout où revient le travail. La Sicile, entre autres, ne présente pas les signes d’épuisement qu’on lui prête ; elle est proportionnellement aussi peuplée que la France, et elle produit assez de blés pour alimenter une exportation considérable ; elle en porte certainement plus aujourd’hui que jadis, car ce mot pompeux de grenier des Romains s’appliquait à la seule ville de Rome, qui ne tirait pas seulement ses approvisionnemens de la Sicile, mais qui mettait aussi à contribution l’Italie et l’Afrique.

Il suffit de songer aux faibles moyens de navigation connus des anciens pour réduire à leur juste valeur ces importations de grains qui troublaient le sommeil d’Auguste ; l’Angleterre achète aujourd’hui au monde entier dix fois plus de blé que n’en achetait autrefois la ville de Rome, et on ne voit pas que les pays producteurs s’épuisent à lui en fournir, quand ils sont bien cultivés. Partout où l’assolement alterne n’est pas usité, l’épuisement arrive ; mais l’assolement alterne apporte la fécondité. Il ne faut pas confondre les effets de la mauvaise culture avec ceux de la bonne. Le déboisement par exemple est une puissante cause de stérilité ; est-ce là de la culture ? Non, c’est de la dévastation. Une certaine proportion de bois est nécessaire, surtout dans les pays méridionaux. C’est une forme de l’assolement. Faut-il s’en prendre à la culture, si l’Algérie et la Castille ont perdu cet élément d’équilibre ?

Sans doute avec le seul secours de l’assolement alterne la production n’est pas illimitée. Il vient un point où, l’exportation croissant toujours, la balance ne suffit plus ; mais ce point est encore très éloigné pour la plupart des terres en France et en Europe. Le terme serait encore plus rapproché, si la théorie des importations nécessaires était vraie à la lettre. On ne peut, dans ce système, enrichir les uns sans dépouiller les autres. On en voit un exemple à Masny. La nourriture importée se compose de la pulpe de betteraves achetées au dehors. Or comment font ceux qui vendent ces betteraves pour réparer leurs pertes ? Les engrais achetés se composent principalement de tourteaux ; comment font ceux qui les vendent pour échapper à l’épuisement ? Masny est donc un vampire qui se nourrit de la substance de ses voisins ; ceux-ci doivent à leur tour se nourrir de celle d’autrui, et ainsi de suite. L’assolement alterne est moins égoïste ; il ne demande qu’à lui-même ses moyens d’approvisionnement.

Il y a enfin un genre d’engrais qui ne constitue pas une importation proprement dite et qui vient puissamment au secours de l’assolement alterne. C’est l’engrais humain. En restituant à la terre les résidus de ceux qu’elle a nourris, on n’ajoute rien à sa substance, elle reprend ce qu’elle a donné. La Chine offre un grand exemple de l’énergie de cet engrais-, bien que les terres y nourrissent depuis des siècles des centaines de millions d’hommes, elles vont en s’enrichissant, et nous avons plus