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rendre au sol ce que les récoltes lui enlèvent, et au-delà. Reste à savoir comment. La nature y a pourvu jusqu’à un certain point, puisque la jachère suffit pour rétablir l’équilibre dans un état limité de production. La chimie nous apprendra un jour, elle commence à nous apprendre comment se reforment dans le sol, par la seule influence du repos et des agens atmosphériques, l’azote, le phosphate, la potasse, le carbone, tous les principes élémentaires ; elle ne nous donnerait pas l’explication du fait, que le fait n’en serait pas moins certain. De même l’expérience prouve qu’à côté des récoltes qui épuisent, il y a celles qui fertilisent ; si la chimie ne nous rend pas un compte complet de ce phénomène, c’est qu’elle ne sait pas tout. Consultez le premier cultivateur venu, et il vous répondra qu’en n’affectant aux céréales qu’une moitié, un tiers ou un quart du domaine, suivant les circonstances, en consacrant le reste aux prairies et aux racines, en faisant consommer par le bétail toutes les récoltes vertes, et en restituant au sol les pailles et autres résidus, on répare largement ses pertes. Le fumier de ferme est l’agent principal de cette restitution, mais il n’est pas le seul : l’air, l’eau, la lumière, la chaleur, tout y contribue, et la nature a doué certaines plantes de la faculté de reprendre par leur végétation ce que d’autres dépensent. Une des plus grandes preuves de cette propriété se trouve dans ce qu’on appelle les engrais verts, c’est-à-dire l’enfouissement des récoltes vertes comme le sarrasin, le colza, la spergule, le lupin. L’expérience prouve qu’on féconde par là les sols les plus pauvres ; les engrais verts transforment en ce moment les sables de la Prusse.

La nécessité des importations d’engrais s’explique à Masny par l’énormité des produits. M. Fiévet, il ne faut pas l’oublier, a presque renoncé aux prairies naturelles ou artificielles, et il exporte une partie de ses racines ; ces moyens de fertilisation lui manquant, il a d’autant plus besoin de secours étrangers. Dans ce même département du Nord, où l’agriculture industrielle jouit d’une si grande faveur, on trouve encore plus d’une exploitation qui s’alimente par elle-même et qui cependant ne dégénère pas ; ce département possède 90,000 hectares de prairies naturelles, 50,000 hectares de prairies artificielles, ce qui prouve qu’on n’y renonce pas aux moyens ordinaires de faire de l’engrais. Avant 1789, la betterave à sucre était inconnue, et la Flandre était déjà le premier pays de culture de France. Certes je ne veux dire aucun mal de la betterave à sucre. Personne n’admire plus que moi cette magnifique culture, mais un doute s’élève sur son avenir par l’insuffisance de ses débouchés. La consommation du sucre et de l’alcool ne peut pas s’étendre autant que celle de la viande et du pain, et ces deux produits de la betterave rencontrent des concurrences redoutables dans le sucre des colonies et l’alcool de vin. La grande masse des agriculteurs français doit chercher ailleurs ses profits et ses engrais.