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mais l’ouvrier qui laboure, qui sème et qui moissonne peut aussi se considérer comme le seul agent de l’agriculture. Aurait-il raison ? Pour labourer, il a besoin d’une charrue attelée ; pour semer, il a besoin de semence et d’engrais ; pour moissonner, transporter et battre les récoltes, il a besoin d’instrumens et de chariots ; pour semer et récolter à propos, pour varier convenablement ses cultures, pour introduire de nouveaux perfectionnemens dans ses procédés, il a besoin d’une pensée qui lé dirige ; enfin, pour toucher ses salaires, il a besoin de vendre ses produits. C’est le chef d’exploitation qui pourvoit à tout, et qui par conséquent contribue au résultat pour une grande part, quoiqu’il ne laboure pas de ses propres mains.

De même, pour que le chef d’exploitation puisse exercer son industrie, il faut qu’il trouve des bâtimens tout préparés, des terres ouvertes et amendées de longue main, des irrigations, des desséchemens, des prairies, un cours de culture tout établi ; c’est le propriétaire qui les lui fournit. S’il avait affaire à la terre nue, il produirait dix fois moins. On peut citer des cas où la rente s’accroît d’un élément dont on a fait beaucoup de bruit, la fertilité naturelle du sol ; mais ces cas sont rares et passagers. Analysez la valeur vénale des terres dans les pays les plus fertiles, vous trouverez que la valeur du sol nu n’y entre pour rien ou presque rien ; ce sont les capitaux enfouis qui font tout. Dans tous les cas, cette valeur originaire, en supposant qu’elle existe, n’a profité qu’au premier occupant ; les détenteurs actuels l’ont acquise au même titre que les autres capitaux. « La rente monte toujours, » dit avec regret M. Barral ; mais n’est-il pas d’usage que le capital placé en terre ne rapporte que la moitié environ de l’intérêt des capitaux mobiliers, et n’est-il pas légitime que la seconde moitié se capitalise ? Le propriétaire renonce à une partie de son revenu pour augmenter son capital, la terre fait fonction de caisse d’épargne.

Dans un état arriéré d’agriculture, rentes, profits et salaires descendent ensemble ; quand l’agriculture s’améliore, tout monte à la fois. Je reconnais sans difficulté que l’élément le plus précieux, c’est le bénéfice de l’exploitant, parce qu’il constate l’application d’un plus grand capital et d’une plus grande habileté à la culture. Si cette part est faible en France, ce n’est point parce que la rente est trop forte, c’est parce que le capital et l’habileté manquent trop souvent ; si elle s’élève en Angleterre, c’est que l’un et l’autre font moins défaut. L’exploitant de Masny a un bénéfice exceptionnel parce qu’il a un capital exceptionnel et une habileté supérieure. La rente du sol devrait d’ailleurs y être accrue, pour rentrer dans les conditions ordinaires, du loyer des bâtimens, qui appartiennent en général au propriétaire, et il se peut que par dès considérations de famille la rente n’y soit pas portée tout à fait au même point qu’ailleurs.