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élémens de cette résistance y étaient plus nombreux, plus compactes, et dans une tout autre proportion qu’à Paris, où les girondins ne formaient qu’un parti et se trouvaient isolés : à Lyon, c’était une coalition spontanée de tous les bons citoyens réunis qui avait opéré pour un temps la délivrance. Le royalisme ne s’introduisit que peu à peu, et il ne prit le dessus que quand la ville ayant été exceptée de l’amnistie accordée à d’autres cités pareillement insurgées la veille, on en vint aux extrémités d’un siège : toutes les nuances d’opinions intermédiaires pâlirent naturellement ou disparurent, et dans la lutte à mort, à ce degré d’incandescence, la couleur la plus tranchée se dessina.

Camille Jordan eut un rôle actif dans tous ces événemens et par la parole, et par la plume, et par le fusil quand il fallut combattre. Il y eut là un premier Camille Jordan que nous ne pouvons nous figurer et ressaisir qu’en le devinant en partie. Il aimait certes la liberté, ce fut son aspiration première, et il ne l’abjura jamais. En 1788, il s’était trouvé chez son oncle Claude Perier à Vizille pendant la tenue des états du Dauphiné, de cette assemblée « d’où partit le premier cri de rénovation qui devait retentir si tôt et se prolonger si longtemps dans le monde[1]. » Il avait pu dès lors sympathiser avec Mounier, à qui plus tard une amitié étroite l’attacha. En 1790, Camille avait fait le voyage de Paris en compagnie de sa mère ; il y avait été témoin des luttes oratoires de l’assemblée constituante, et il avait dû sentir en son cœur un frémissement secret, comme le jeune coursier à l’appel au clairon. Ses premiers écrits pourtant, qui datent de l’année suivante, furent des écrits d’opposition, destinés à signaler la triste inauguration de l’église constitutionnelle et inspirés par cette faculté d’indignation en présence de l’injustice, généreuse faculté qui ne devait jamais se refroidir en lui et qu’il garda intacte jusqu’à son dernier soupir. Ce jeune homme de vingt ans se prend tout d’abord d’un zèle éloquent pour les opprimés et les faibles. J’ai sous les yeux un seul de ces premiers écrits volans, devenus bien rares et presque introuvables, qu’il lançait sous divers noms.

Il s’attaquait de préférence à l’abbé Lamourette, qui n’était pas seulement un évêque ridicule, mais qui, bien qu’humain et tolérant de sa personne, couvrait de son optimisme sentimental et de son silence des actes odieux, des insultes et des assauts livrés par la populace des clubs aux fidèles de la communion non assermentée. One scène des plus atroces s’était passée le jour de Pâques 1791 à la porte de l’église de Sainte-Claire. Le matin, au sortir de la messe

  1. Ballanche, Éloge de Camille Jordan.