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la prospérité commune. Il importe donc de se rendre compte de l’état social et de la situation politique de ces jeunes états américains. Les documens à consulter sur ces questions importantes sont peu nombreux et presque tous fort incomplets. Aussi l’ouvrage de M. Belly, dont le premier volume est consacré à la description de l’Amérique centrale et plus spécialement à celle des trois républiques du Guatemala, du Nicaragua et du Costa-Rica, doit-il être considéré, indépendamment de sa valeur littéraire, comme un travail des plus précieux. Désormais nul de ceux qui auront seulement parcouru le livre de M. Belly n’aura le droit de parler des « agitations stériles » de l’Amérique centrale et de répéter comme par habitude cette vieille accusation dépourvue de preuves, que les populations hispano-indiennes « retombent dans la barbarie. » Il est vrai que tous les trésors n’affluent pas comme autrefois vers les églises, et que plusieurs d’entre elles sont délabrées : la plupart des anciens couvens tombent en ruine, les somptueux édifices construits pour les vice-rois et les gouverneurs sont lézardés ou détruits ; mais le nombre des habitans a doublé, les cultures sont plus riches et plus variées, le bien-être a pénétré dans les demeures du peuple, l’instruction, jadis absolument nulle, finit par atteindre jusqu’aux familles indiennes éparses dans la forêt. Les renseignemens statistiques donnés par M. Belly sont d’incontestables preuves des progrès accomplis par ces jeunes nations méconnues.

Le Guatemala est le plus important de tous les états de l’Amérique centrale par l’étendue de son territoire et le nombre des habitans, celui qui exerce la plus grande influence politique sur-les destinées communes des républiques de l’isthme, et dont la capitale est la plus animée, la plus populeuse, la plus riche en monumens ; malheureusement c’est aussi, parmi ces petites nations rivales, celle dont les institutions sont le moins conformes aux principes du droit, le moins favorables au développement rapide de l’intelligence et de la moralité populaires. Sous le régime espagnol, la ville de Guatemala était la résidence d’un vice-roi et le siège du tribunal de l’inquisition ; c’est de là que partaient les ordres pour maintenir le monopole commercial, la servitude politique, l’oppression religieuse dans toutes les régions de l’isthme ; c’est là que se constituait une aristocratie de sang et de fortune de plus en plus orgueilleuse, et que les oisifs, les ambitieux, les parasites, accouraient en foule pour obtenir leur part de jouissances et de domination. Il n’est donc pas étonnant que les antiques traditions coloniales se soient maintenues longtemps au Guatemala : or, ainsi que le dit M. Belly, « la tradition, c’est l’abus. » Plus favorisées parce qu’elles n’avaient eu ni cour somptueuse, ni puissante aristocratie, ni grandes villes de luxe et de plaisir, les autres républiques de l’isthme ont eu