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rappeler ce qu’il fut dans la vie publique et pour le montrer dans l’intimité, aimé, goûté, presque adoré de femmes supérieures ou charmantes, et justifiant la vivacité de cette prédilection par des qualités et des trésors de simplicité, de sincérité, de candeur, d’honneur, de dévouement et de franchise.

Camille Jordan, né à Lyon le 11 janvier 1771, appartenant à une famille de commerçans aisés, de mœurs simples et d’une probité antique, fit de brillantes études à Lyon même, au collège de l’Oratoire, et il les couronna par un cours de philosophie de deux ans au séminaire de Saint-Irénée[1]. Nourri de la sorte, formé parmi ses compatriotes, il resta toute sa vie l’homme de son pays et de sa ville natale ; il ne se dépaysa qu’autant qu’il le fallut, et le type originel en lui ne s’affaiblit jamais. Je ne me hasarderai pas à donner les traits qui définissent le mieux le génie natif de cette race lyonnaise dont nous avons connu des représentans diversement distingués ; mais assurément un même caractère provincial leur demeure attaché à tous : ce caractère porte avec lui un certain fonds de croyances, de sentimens, d’habitudes morales, de patriotisme local, de religiosité et d’affectuosité (si je puis dire), qui se maintient au milieu de l’effacement ou du dessèchement trop général des âmes. On a cru y remarquer en même temps un peu trop de mollesse et de rondeur dans la forme générale des talens. Camille Jordan jeune, âgé de vingt ans, témoin des excès inouïs qui, à Lyon encore plus qu’ailleurs, souillèrent le triomphe de la révolution, presque au lendemain de 89, prit une part des plus actives à la résistance et à la révolte des citoyens honnêtes. Ce ne fut point précisément la contre-révolution qui arma les citoyens lyonnais contre la république et la convention : ce fut l’excès de l’oppression, graduellement croissante depuis 1791 et renchérissant chaque jour par des mesures de plus en plus intolérables, ce fut la frénésie de quelques dominateurs fanatiques qui détermina le désespoir du très grand nombre. Girondins, hommes de 89 et royalistes, nobles, bourgeois, marchands et hommes du port, tous à la fin se trouvèrent refoulés dans un seul et même sentiment d’indignation, confondus dans un seul et même parti qui s’insurgeait contre des tyrans extravagans et cruels, s’érigeant de leur propre autorité en comité de salut public. Là, les sections soulevées l’emportèrent contre une minorité présidée et ameutée par les triumvirs. Les girondins succombaient à Paris le 31 mai : le 29 mai, deux jours auparavant. la résistance de Lyon contre le jacobinisme avait réussi, parce que les

  1. Ce qui ne veut pas dire, comme l’a cru un de ses biographes, qu’il entra au séminaire ; il était comme élève dans le pensionnat particulier qu’y tenaient les sulpiciens de Lyon.