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repris dans un avenir plus ou moins éloigné, il aura subi de profondes modifications. Une chose est certaine, c’est que le percement de l’un des isthmes américains par un grand canal interocéanique analogue au canal de Suez ne pourrait s’accomplir sans d’énormes dépenses. D’après M. Jules Flachat, les sommes que demanderait la plus facile de ces entreprises, celle du Nicaragua, atteindraient au moins le total de 320 millions, et la voie navigable la plus coûteuse, celle qui emprunterait le cours de l’Atrato et du Truando, reviendrait à 750 millions de francs. Ce serait un budget bien minime, s’il s’agissait d’acheter des armes, de fondre des balles et des boulets pour quelque guerre d’extermination ; mais c’est une somme impossible à trouver pour une œuvre d’intérêt universel, dont le résultat serait de rapprocher les continens les uns des autres et de hâter le jour de la grande réconciliation humaine. Il est donc probable que de longues années s’écouleront encore avant que l’un des isthmes américains livre passage aux flottes de commerce, et pourtant, si les sommes prodiguées sur les marchés financiers dans la constitution de sociétés fantastiques avaient été employées à la grande œuvre de la jonction des deux mers, il n’est pas douteux qu’elle ne fût maintenant accomplie.

D’ailleurs, avant de creuser une sorte de détroit de navigation entre l’Atlantique et le Pacifique, on pourrait entreprendre bien des travaux secondaires qui seraient néanmoins de la plus haute importance pour le commerce du monde et pour la prospérité de l’Amérique centrale. Au Nicaragua surtout, il serait relativement facile d’ouvrir un canal provisoire de communication. Jadis les bricks espagnols remontaient librement jusque dans le lac par le rio San-Juan, en se laissant pousser par les vents alizés ; maintenant encore les bateaux à vapeur triomphent sans peine du courant des rapides, car la chute totale, sur une longueur de 160 kilomètres, est de 38 mètres seulement. Dût-on même se borner à nettoyer le port de Greytown, à l’entrée du fleuve, et à rectifier le cours du San-Juan aux endroits difficiles, on ouvrirait ainsi l’accès du lac de Nicaragua aux navires de 300 ou 400 tonneaux. Il resterait ensuite, pour atteindre le Pacifique, à percer l’étroite langue de terre de Granada ; toutefois c’est là une œuvre qui ne saurait effrayer les ingénieurs. A l’ouest de l’île de Zapatera, qui protège une rade où les embarcations seraient parfaitement abritées du terrible ressac produit sur la côte par le souffle continu des vents alizés, M. de Sonnenstern a découvert un passage d’une trentaine de kilomètres, dont le point le plus élevé se trouve seulement à 7 mètres 1/2 au-dessus du lac de Nicaragua et à 45 mètres environ au-dessus du niveau des deux océans : c’est dans cette dépression, ouverte à peu près à moitié chemin entre Granada et Rivas, qu’il serait le plus