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avait interdit sous peine de mort de s’occuper d’un pareil projet, « car, ainsi que le disait un de ses courtisans, si Dieu avait désiré qu’il existât un détroit, il n’aurait pas manqué de l’ouvrir lui-même. » Vers le milieu du XVIIe siècle seulement, il se trouva un homme assez courageux pour oser de nouveau, en violation des lois divines, demander le percement de l’isthme de Tehuantepec ; mais depuis le grand voyage de Humboldt, et surtout depuis que les anciennes colonies américaines, devenues terre libre, sont dégagées des entraves commerciales qui en faisaient un simple fief de quelques maisons de Séville et de Cadix, les projets se sont succédé en foule, les uns rédigés au hasard sur des cartes de fantaisie, les autres étudiés avec tout le soin que permettait la connaissance du pays et présentés par des hommes de valeur scientifique.

Les parties de l’Amérique centrale à travers lesquelles les ingénieurs ont fait ainsi passer à l’envi leurs divers tracés de canaux à écluses ou sans écluses comprennent sans exception tous les étranglemens de la grande terre de jonction qui rattache le Mexique à la Colombie. L’isthme de Tehuantepec, celui du Honduras, la baie de Chiriqui et le golfe Dulce, la rivière de Chagres et Panama, le Darien, ce faible pédoncule qui relie le continent du nord à la masse énorme du continent méridional, enfin le bassin de l’Atrato et de plusieurs de ses tributaires, ont été tous prônés comme les endroits où devrait nécessairement s’ouvrir la porte commerciale entre les deux mers ; mais, de toutes les régions proposées pour l’ouverture d’un canal de navigation, nulle n’est plus connue que la remarquable dépression dans laquelle se trouvent le lac de Nicaragua et son émissaire le rio San-Juan. Dès l’année 1823, l’assemblée constituante de la confédération de l’Amérique centrale était saisie d’un projet de jonction des deux océans par le Nicaragua, et depuis cette époque les demandes de concession du canal, venues de l’Europe ou des États-Dois, ont été fort nombreuses. Parmi les premières, il faut surtout mentionner celle de M. Belly. Les lecteurs de la Revue n’ont sans doute point oublié les charmantes descriptions que M. Belly leur a données de quelques-uns de ses voyages dans l’Amérique centrale[1]. Pour notre part, nous nous rappelons, comme si nous les avions vues nous-mêmes en sa compagnie, les hautes berges alluviales du rio Sarapiqui, toutes bordées de grands arbres aux rameaux entremêlés de lianes ; il nous semble que nous avons parcouru avec lui ce beau plateau de Costa-Rica, dominé par la superbe rangée de ses vingt-cinq volcans, et que nous avons traversé dans sa barque la mer intérieure du Nicaragua en contemplant le profil harmonieux des montagnes jumelles de l’île

  1. Voyez la Revue du 15 juillet et du 1er août 1860.