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A62 REVUE DES DEUX MONDES. desquelles elle n’est pas faite. La simplicité et la commodité de l’alphabet latin ont notamment contribué à étendre l’influence des Romains sur les barbares. Auparavant la supériorité de l’alphabet grec avait aidé à propager dans toutes les contrées méditerranéennes les idées et les habitudes helléniques. Le peu de souplesse et les défectuosités de l’alphabet purement sémitique ont empêché les populations de l’Asie occidentale d’exercer sur l’Europe l’action à laquelle elles semblaient appelées. L’Égypte a été sans influence sur l’Occident, et, loin de le doter de sa science, elle a subi l’action des Grecs après Alexandre. C’est que son système d’écriture se trouvait trop intimement lié à la langue et à la religion de ses habitans. Voilà également pourquoi l’écriture chinoise ne s’est pas répandue chez tous les peuples soumis à la domination du fils du ciel. Toutefois les systèmes graphiques conçus exclusivement pour traduire aux yeux un certain idiome ont pu fournir à d’autres peuples les élémens d’un système moins exclusif ou moins complexe, susceptible par conséquent de s’adapter davantage aux besoins d’idiomes divers. Les Phéniciens tirèrent de la sorte leurs lettres de l’écriture hiératique égyptienne ; les Japonais ont composé leurs caractères en prenant pour point de départ ceux des Chinois ; les Perses, ainsi qu’on l’a vu plus haut, durent constituer leur alphabet à l’aide des signes cunéiformes syllabiques. Eh bien ! un fait du même ordre s’est produit pour les Assyriens. Ils ont emprunté aux Touraniens leur système graphique ; mais, afin de mieux l’adapter à leur propre idiome, au lieu de le simplifier, ils l’ont compliqué ; ils ont donné aux caractères des valeurs nouvelles que ne comportait pas le syllabaire primitif. C’est vraisemblablement un procédé identique qui a permis à d’autres populations de se servir aussi de l’écriture cunéiforme. Il a été découvert à Ninive, à Van, à Diarbekir, à Suse, des inscriptions écrites dans le système anaryen, mais qui appartiennent à des idiomes différens de l’assyrien et du médo-scythique. On a baptisé ces langues des noms de casdo-scythiques ou scythique-chaldéen, d’arméniaque ou arménien primitif, de susien. Sauf le déchiffrement de quelques noms, on n’est point encore parvenu à comprendre les textes des deux derniers idiomes. M. Oppert a signalé parmi les nombreuses tablettes rapportées de Koyoundjik une sorte de vocabulaire où se lisent en face de mots assyriens des mots casdo-scythiques correspondans, et l’on peut déjà reconnaître dans la langue des Scythes de Chaldée un organisme touranien.

Nous avons vu que les Assyriens, pour se servir de l’écriture anaryenne, y avaient introduit certaines correspondances phonétiques inconnues aux Touraniens. De là une richesse de valeurs dans les monogrammes qui a créé à la science de terribles difficultés. C’est, selon toute apparence, par degrés que ce peuple est arrivé à