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phonétiquement, et l’on a vu qu’ils fournissent alors des mots fort différens de ceux qui, dans le vocabulaire assyrien, rendent l’idée que ces signes peignent symboliquement. S’il se rencontre une langue où les mots dus à la valeur phonétique des signes ont précisément la signification que ces signes rappellent en tant qu’idéogrammes, on devra nécessairement supposer que cette langue était l’idiome des premiers qui les employèrent. Par exemple, le monogramme qui dans le texte assyrien répond à l’idée de maison est l’équivalent du phonétique bit, ce mot ayant en assyrien la signification de maison ; mais, lu phonétiquement, il donne un tout autre mot, qui est val. La langue où le mot val signifierait maison devrait être celle du peuple qui a le premier fait usage du monogramme en question. Eh bien ! cette langue est précisément le médo-scythique, l’idiome auquel appartient l’écriture cunéiforme de la seconde espèce, car en médo-scythique eval affecte le sens de maison. M. Oppert a vérifié le fait sur une foule de monogrammes. Pour d’autres, dont la valeur phonétique donne un mot que ne peuvent expliquer les inscriptions médo-scythiques, il a eu recours au vocabulaire des langues de la même famille encore parlées de nos jours, et il y a retrouvé l’explication phonétique du sens idéographique. Ainsi le signe idéographique qui rend l’idée de race se lit niman d’après ses élémens vocaux ; or en magyar nem veut dire race, le signe symbolique de l’épée est phonétiquement entendu, pal, et en magyar pallos signifie épée. Le touranien nous apporte donc toujours la concordance de la valeur phonétique et de la signification symbolique. Nous sommes en conséquence conduits à rapporter à une race touranienne l’invention de ces signes. Les Assyriens les lui ont certainement empruntés ; toutefois, au lieu de conserver à ces signes la valeur vocale qui y était attachée, ils les ont considérés comme des symboles exprimant non des articulations, mais une idée, et, pour les dénommer, ils ont naturellement adopté le mot de leur propre langue qui rendait cette même idée. Voilà comment, au lieu de lire le signe de maison val, ils le lisaient bit. Leur emprunt ne s’arrêta point là. Puisque pour les mots phonétiquement écrits ils se servaient de caractères syllabiques dont les valeurs, transportées dans les signes symboliques, permettent de retrouver la forme phonétique touranienne, c’était donc qu’ils avaient aussi pris aux Touraniens leurs signes vocaux. En fait, les Assyriens avaient attribué au monogramme une double valeur phonétique, l’une dérivée du mot de leur propre idiome dont il exprime l’idée, l’autre due aux signes phonétiques dont il se compose. L’écriture cunéiforme offrait une réelle polyphonie : un signe phonétique idéographiquement entendu se lisait par un tout autre mot ou son que celui qu’expriment les éléments syllabique. Cela explique comment l’emblème