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plus exposés à des méprises analogues, mais le sens général de la phrase les ramenait bien vite à la véritable acception du groupe cunéiforme. Nous, qui malheureusement ne connaissons que fort imparfaitement leur langue et leurs symboles, nous avons beaucoup plus de peine à nous tirer de la difficulté. Les monogrammes ou signes symboliques ne présentaient pas au reste une valeur assez circonscrite pour ne s’appliquer qu’à un seul objet, qu’à une idée bien déterminée. Ils comportaient une acception plus générique, et, pour indiquer le sens spécial qu’on leur attribuait dans la phrase, on les faisait fréquemment suivre d’un groupe phonétique donnant un son tiré du mot qui en assyrien rendait l’objet ou l’idée particulière qu’on entendait exprimer. C’est ce que les philologues ont appelé le complément phonétique, phénomène qui s’observe dans l’écriture hiéroglyphique égyptienne, et dont des vestiges se retrouvent dans l’écriture des anciens Mexicains et dans celle des Japonais. Expliquons-nous par un exemple. Le monogramme qui répond à l’idée de lumière, suivant qu’il sera accompagné du groupe phonétique oum, ou du groupe si, ou du groupe doû, prendra le sens de Jour, de soleil ou d’aurore, parce qu’en assyrien youm signifie jour, samsi, soleil, et sadoû, aurore. Ces complémens phonétiques rappellent fort, on le voit, nos rébus. Parfois aussi le mot phonétique est accompagné d’un monogramme qui figure seulement comme déterminatif et indique l’ordre d’idées auquel le mot appartient. Nous pouvons nous effrayer à la pensée d’une telle complication ; mais, qu’on ne l’oublie pas, l’esprit humain a toujours procédé du complexe au simple, et les procédés les plus primitifs sont nécessairement les plus incommodes et les plus compliqués. Il a fallu passer par les hiéroglyphes égyptiens pour arriver à l’alphabétisme que les Phéniciens en ont tiré, de même que l’alphabet cunéiforme iranien a dû sortir de ce syllabaire formidable reconstruit si péniblement par les assyriologues.


II

Les inscriptions assyriennes une fois lues, il devint possible de se faire une idée précise de l’idiome auquel elles appartiennent. On y reconnut une langue sémitique, plus voisine de l’hébreu que de l’araméen quant à l’organisme, mais ayant son cachet spécial. Des orientalistes éminens s’étaient d’abord refusés à admettre cette parenté ; leurs objections sont tombées devant l’évidence des rapprochemens. Sous le déguisement d’une pareille écriture, si différente du vêtement plus simple et plus étroit que l’alphabet phénicien donne à l’hébreu, au syriaque, à l’arabe, on conçoit que le sémitisme de l’assyrien n’ait pas d’abord apparu avec une suffisante