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donne le mot dusis est visiblement un symbole de protection, puisqu’il répond dans une inscription cunéiforme de Suse à l’impératif iranien patar, « protège, garde. » Cette analyse nous fait ainsi retrouver toute l’idée exprimée par le nom de Naboucoudourroussour, devenu pour les modernes Nabuchodonosor, et en explique la parenté avec le mot Anpasadusis, qui lui paraissait d’abord tout à fait étranger. Un travail du même genre a été opéré par M. Oppert sur une foule d’idéogrammes ; on imagine aisément les difficultés qu’entraînait la vérification de son hypothèse, et ce qu’une pareille tâche a demandé de recherches. Si la polyphonie comme l’entendait sir Henry Rawlinson n’existait pas dans l’écriture assyrienne, il fallut pourtant y reconnaître une polyphonie d’une autre nature ; le phénomène se produit dans d’autres conditions, et tient à des causes auxquelles il est possible de remonter.

L’association de caractères phonétiques et de caractères idéographiques ne se présente pas seulement dans une même phrase, on l’observe encore souvent dans un même mot. Les textes assyriens nous mettent sans cesse en présence de ces produits hybrides. Pour concevoir la possibilité d’un pareil mélange, il suffit de se reporter à quelques abréviations qui nous sont familières. Ne mêlons-nous pas nos chiffres, qui constituent de véritables monogrammes, à l’écriture alphabétique ? Il y a plus, nous unissons parfois le chiffre à la lettre en conservant à tous deux leur valeur propre. Quand nous écrivons, par exemple, 7bre pour septembre, 8bre pour octobre, nous agissons comme le faisaient les anciens Assyriens. Jadis on écrivait fréquemment le nom latin de Christophorus (Christophe) en faisant suivre une croix ou le monogramme du Christ de la finale phorus. C’est toujours le même procédé. Mais, dira-t-on, comment les Assyriens parvenaient-ils à se reconnaître dans la lecture, puisque les signes idéographiques n’étaient pas essentiellement distincts des signes vocaux, et qu’on pouvait ainsi leur attribuer une acception phonétique ? qui avertissait le lecteur de la manière dont le groupe devait être compris ? Le sens général de la phrase et l’usage devaient incontestablement y suffire. L’écriture était d’ailleurs en ces temps reculés non pas comme aujourd’hui la plus élémentaire des connaissances, mais une vraie science ; c’est ce qu’ont montré les hiéroglyphes égyptiens. Les peuples de l’antiquité qui connurent l’écriture alphabétique employaient aussi leurs lettres comme signes numériques ; ces lettres, placées dans un texte, pouvaient dès lors donner naissance à des confusions. Par exemple, quand les Latins écrivaient dans une inscription le mot VIDENTES, un lecteur inhabile ne pouvait-il pas prendre VI pour le signe de six (sex), et croire qu’il s’agissait de six dents ? Toutefois un peu d’intelligence mettait en garde contre de telles erreurs. Les Assyriens étaient sans doute