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mais d’un syllabaire de plus de cent signes, représentant soit une voyelle isolée, soit une voyelle suivie d’une consonne, soit enfin une voyelle comprise entre deux consonnes. Jamais la consonne n’apparut seule, et c’était la preuve la plus palpable que le syllabisme et non l’alphabétisme constituait la base de cette écriture. Toutefois un tel système de représentations syllabiques n’a pu être entièrement reconstitué qu’après qu’on eut réussi à déchiffrer la troisième écriture. Outre des lettres dont la valeur phonétique était incontestable, on remarqua dans les cunéiformes de la deuxième catégorie d’autres signes qu’une étude attentive fit reconnaître pour être purement figuratifs ou idéogrammatiques. On avait donc dans le système dit médique un mode d’écriture offrant la plus grande analogie avec les hiéroglyphes égyptiens, où sont, comme l’on sait, concurremment employés des signes représentant des sons et des signes figurant des objets ou des idées.

Le déchiffrement de l’ensemble de ces divers caractères conduisit à reconnaître que l’épithète de médique ne pouvait leur convenir. Rien n’annonçait dans la langue qu’ils faisaient entrevoir une origine iranienne ; on n’y retrouvait pas davantage un idiome sémitique. Des racines appartenant aux familles linguistiques les plus diverses y étonnaient le philologue, et Westergaard signala dans cette langue bizarre des formes celtiques à côté de formes iraniennes, une conjugaison tartare à côté d’un pronom essentiellement hébraïque, des adverbes sanscrits à côté d’élémens turcs et mongols. Ce chaos grammatical se débrouilla quelque peu par la suite, et les élémens propres à la grande famille des langues finno-tartares se dégagèrent de l’alliage étranger, visiblement apporté par les Sémites et les Iraniens. On était manifestement en face d’un de ces idiomes que nous appelons aujourd’hui touraniens, parce que les anciens habitans de l’Iran désignaient sous le nom de Touran la région située au nord-est de leur pays, région qui répond à peu près au Turkestan. Plus on a étudié les élémens de cet idiome touranien, plus la parenté avec les langues finno-tartares, surtout avec le magyar et le turc, en a été mise en lumière. La langue de la seconde colonne des inscriptions cunéiformes trilingues n’était donc pas celle de ces Mèdes représentés par Strabon comme parlant une langue très rapprochée du perse ; c’était l’idiome d’une race d’origine finno-tartare répandue dans une partie de l’empire persan, et qui devait avoir précédé en Médie les Iraniens, avec lesquels elle s’est plus tard fondue. L’étymologie du nom de Médie étant fournie par la langue touranienne, où ce mot (mada) signifie pays, il faut croire que les Touraniens formaient la population originelle de cette grande province. Les Touraniens de Médie étaient une branche du grand faisceau de peuples que les Grecs désignèrent sous le nom générique assez