Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour le résultat ce courage-là ne vaut point les autres. « Que pourrais-je craindre ? Je donnerais ma vie pour une épingle, et mon âme, quoi qu’il puisse me faire, n’est pas moins immortelle que lui ! » Ainsi parle Hamlet se préparant à recevoir la visite du fantôme de son père. C’est du courage incontestablement, mais plus métaphysique encore que physique et dont le ressort a besoin d’être monté ; je m’explique fort bien qu’il soit l’être valeureux qu’il se montre en mainte circonstance, et puisse en même temps louvoyer dans l’accomplissement de la tâche terrible et douteuse qui lui incombe. Je voudrais savoir qui d’entre nous prendrait la chose plus résolument : tuer son oncle et du même coup frapper sa mère, une mère déchue à la vérité, que pourtant au fond du cœur il aime encore avec tendresse ! Mettons de côté le héros de tragédie, disons-nous que nous avons devant les yeux non plus tel ou tel prince de la famille des Atrides, mais l’homme réel, moderne, et rendons-nous compte de l’effet que produirait Hamlet allant droit à son acte et le consommant sans réflexion : l’horreur seule crierait en nous. Qu’Hamlet soit au niveau de sa tâche, il n’y a plus d’Hamlet, il n’y a plus de pièce, et l’histoire ainsi proposée ne causerait qu’une impression de dégoût au lieu de la terreur qu’elle inspire par ce conflit si nouveau, si tragique, de la pensée et de l’action. Goethe a donc tort quand il vient critiquer dans un pareil sujet la multiplicité, la variété des incidens, car cette abondance d’événemens extérieurs était indispensable pour nous montrer l’action du destin opérant au milieu des combinaisons humaines sans hâte ni retard, également indépendante et de nos mouvemens et de notre inertie.

Nous venons de coudoyer Polonius ; parlons de ses enfans : Laërte d’abord, nous verrons tout à l’heure Ophélie. Laërte est le contraire d’Hamlet, une sorte de cavalier à la mode, un damoiseau bretteur façonné aux belles manières de la cour de France, prompt à la main, bouillant, point mélancolique, et du côté des dons de l’esprit ni plus ni moins raffiné que tous les galans seigneurs de son temps. Hamlet, nous le savons, tue Polonius ; croyant viser au cœur du roi, il embroche de sa rapière, au travers de la tapisserie, le vieux courtisan aux écoutes. Laërte aussitôt quitte Paris et tombe comme la foudre en Danemark pour venger la mort de son père. « Garde-toi d’entrer dans une querelle ; mais, une fois dedans, tâche de te comporter de façon que l’adversaire se garde de toi ! » Des préceptes du noble vieillard, c’est assurément celui-là qui se sera le mieux gravé au cœur du jeune homme. L’idée de vengeance l’emplit tout entier, et avant même que le nom du meurtrier lui soit révélé, l’action l’échauffe et le passionne. Le roi a fait inhumer