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anciens, et le premier de tous en date comme en intuition critique, M. Villemain, qui dès 1827 dans ses Mélanges remuait, éclairait la question, et qui, lorsque les Chateaubriand, les Barante, en étaient encore à chercher les vers de terre, trouvait la mine d’or. Je me tairais volontiers sur les nouveaux, ne pouvant citer tout le monde ; il est cependant des noms qu’en passant on ne saurait omettre, M. Montégut, M. Taine, M. François-Victor Hugo, dont la traduction, à mon sens, serait irréprochable, si les notices qui l’accompagnent n’importunaient souvent le lecteur par un esprit de tendance trop prononcé ; mais ne quittons point l’Allemagne, et suivons cette filiation ininterrompue de penseurs, d’érudits, qui de Goethe s’étend jusqu’à nous, — Ulrici, Gervinug, Vischer, Kreissig, Frédéric Bodenstedt, Elze, Delius. Avec ceux-là du moins on peut discuter et s’instruire. Ce ne sont ni des réalistes, ni des dilettantes : ce sont des esprits convaincus, clairvoyans et toujours au fait. Goethe va plus loin que Lessing et Herder ; les nouveaux commentateurs naturellement vont plus loin que Goethe, et, sans renier sa tradition, creusent davantage le texte, étendent l’idée. C’est avec eux qu’il faut lire Hamlet.

Que n’y ont-ils pas vu ! C’est qu’en vérité tout y est. On ne commente à ce point que les forts, on n’explore, ne creuse que ce qui est vaste, profond. Lorsqu’un Goethe applique son cerveau à pareille étude, lorsque dans l’équilibre parfait de son entendement et la vigueur de sa modération il interroge Hamlet, le paraphrase, évoque l’action comme s’il s’agissait d’un événement historique, analyse un à un les personnages, les amnistie, les condamne, les juge comme si c’étaient des êtres vivans, on aurait assez mauvaise grâce, je suppose, à venir parler de rêverie, de conte fantastique. Des contes fantastiques, Hoffmann en fait, et point Goethe ; encore où voyons-nous qu’en tel chapitre Hoffmann prenne ses sujets, sinon dans des œuvres, — le Don Juan de Mozart, l’Iphigénie de Gluck, — qui, avant d’ouvrir leurs profondeurs, leur dessous à l’œil de l’investigateur, avaient à leur surface déjà de quoi répondre à toutes les conditions d’une sublimité purement technique ? On dit : Hamlet ainsi commenté, c’est Shakspeare et son génie plus Goethe, qui de son chef a mis là bien des choses qui n’y étaient point. — Il se peut que l’argument ait du vrai ; néanmoins je ne m’y fierais pas, attendu que toutes ces belles choses, d’autres, à défaut de Goethe, les eussent découvertes, découvertes là et point ailleurs, ce qui prouverait pourtant qu’elles y sont. Shakspeare n’a peut-être rien écrit qui soit d’une interprétation plus simple, plus facile. Si la lumière a tant tardé, la faute en est aux préventions systématiques des esprits dirigeans, des oracles du goût. On connaît les