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l’humanité à l’hésitation et aux lenteurs de ses mouvemens spontanés et obscurs ? Toutes les lois du progrès étant connues, ne paraît-il pas naturel que l’autorité assure le bonheur des hommes ? Auguste Comte porte si loin le goût de l’autorité, qu’il repousse visiblement l’économie politique. Il nous siérait peu de prétendre définir cette science ; mais ou l’esprit d’Adam Smith nous échappe entièrement, ou les théories qu’il a fondées se résument tout entières dans ce beau mot de liberté. Liberté du commerce, liberté de la presse, liberté de penser, liberté des lettres, autant d’applications de l’économie politique. Auguste Comte méprise l’économie politique pour ce qu’il appelle sa démission impuissante dans la question des machines. Ce n’est pas lui qui aurait laissé dire ou laissé faire en matière d’industrie. Nous avons vu à quel point Buckle pousse l’amour et même la jalousie de la liberté, à quel point la défiance et même le dédain en ce qui regarde l’autorité des gouvernemens.

Voilà certes assez de différences pour établir que l’auteur de l’Histoire de la civilisation en Angleterre n’est pas un comtiste : suffisent-elles pour le placer en dehors du positivisme ? Il faudrait alors en exclure à peu près tout ce qui professe cette doctrine en Angleterre. Il y a un positivisme anglais, et il importe, avant de finir, d’en tracer les lignes principales. On pourrait dire sans s’écarter de l’exacte vérité que le positivisme, né en France, a trouvé de l’écho en Angleterre avant d’avoir fait aucun bruit de ce côté-ci du détroit. L’Angleterre nous l’a renvoyé plus fort, accrédité, comme il arrive quelquefois, parle succès à l’étranger. La langue et le style dont il avait fait usage étaient sans doute pour quelque chose dans la défaveur où l’avait laissé l’esprit français. Il rencontra moins de résistance dans les oreilles anglaises ou plus indulgentes ou moins intéressées. Le pays de Bacon et de Bentham était aussi mieux préparé pour le recevoir. En haut comme en bas de l’échelle des intelligences, il pouvait compter sur quelques amis. Nous ne croyons pas nous tromper en disant que les amis d’en bas lui furent d’abord le plus utiles : on devine peut-être que nous voulons parler des sécularistes.

A Londres et dans la plupart des villes manufacturières, il y a une secte singulière qui a pour dogme principal que Dieu est une abstraction, une invention des prêtres et des riches, et pour loi morale qu’il faut travailler en commun à tirer le plus grand profit de cette vie, qui est la seule dont nous soyons sûrs. Les adhérens de cette doctrine s’assemblent aux mêmes heures où les églises et les chapelles de dissidens réunissent leurs fidèles. Dans ces réunions, ils entendent des discours, ils ont des fêtes, ils pratiquent certaines cérémonies, telles que des simulacres de baptême. Ces pauvres