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partant des réalités. Cette direction de la pensée publique détermina la marche de la civilisation anglaise, les Stuarts furent renversés parce que dans la religion et dans la politique ils s’étaient mis en travers de la méthode nouvelle. Bacon plus que tout autre prépara la révolution de 1648 ; « mais la nature humaine est pathétique, a dit M. de Lamartine en parlant d’une autre nation, la république mit du côté de la royauté la sensibilité, l’intérêt, les larmes d’une partie du peuple. » Les Stuarts furent rachetés par le sang de leur père ; le souvenir de l’échafaud de White-Hall leur vint en aide pour reconstruire le trône de Charles II. Ce fut la part du sentiment et de l’imagination dans les choses humaines. Cependant le progrès social, qui ne s’arrête pas, donna un nouveau démenti à la sensibilité. La civilisation, qui ne juge pas comme les hommes, c’est-à-dire par le cœur, condamna de nouveau la maison des Stuarts. La même liberté de pensée qui avait détrôné Charles Ier renversa son fils Jacques II. Newton a été pour le mouvement de la pensée en 1688 un autre Bacon. Une seconde fois la méthode baconienne, grand instrument de révolution, changea le gouvernement en changeant les esprits.

N’insistons pas sur cette influence des connaissances positives. On reconnaît ici la tendance d’une philosophie qui prétend détruire la barrière infranchissable entre les sciences physiques et les sciences morales, entre la physiologie et la psychologie. Cette philosophie qui renversé la distinction de l’âme et du corps en mêlant et confondant les notions qui ont leur origine séparée dans l’un et dans l’autre, c’est le positivisme même. Sur ce point, Buckle s’accorde entièrement avec le positivisme français, et, s’il s’en séparait tout à l’heure au grand avantage de la liberté, il s’y rattache maintenant au grand détriment de la conscience humaine et de la morale.


IV

Après les rapprochemens qui çà et là se sont présentés à nous entre les positivistes français et Buckle, il n’est pas nécessaire de nous arrêter à marquer en détail les différences qui les séparent. Toutes n’ont pas d’ailleurs la même importance. Nous avouons que la croyance plusieurs fois professée par Buckle en un Dieu qui n’intervient pas, qui n’est jamais intervenu dans la nature avec des forces surnaturelles, ne nous paraît point empêcher à tout jamais les disciples d’Auguste Comte de s’entendre avec les partisans de Buckle. Dire que Dieu n’a point créé, organisé le monde, qu’il ne tient pas en main le gouvernement de toutes choses, et donner pour