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scepticisme dans son pays. Non qu’il regarde la ruine des croyances comme le but définitif ; son positivisme est encore anglais par un reste de prudence et d’esprit pratique. Il croit que le doute est la situation intermédiaire, la crise par laquelle passe l’Europe pour arriver au repos dans une croyance commune. « L’Europe, dit-il, empruntant cette image à Bunyan, traverse en ce moment la Fondrière du découragement et la Vallée de la mort, avant d’atteindre à la Cité glorieuse, brillante d’or et de pierres précieuses. »

Le scepticisme ou, comme l’entend Buckle, le peu de penchant à croire à des caractères particuliers en pays protestant ; il est naturellement théologique, et c’est dans les livres des théologiens qu’il en faut étudier les progrès. Il naquit le même jour que le sens privé, qui fut la première forme du libre examen. En Angleterre, il commence sous la reine Elisabeth : les théologiens de ce règne ne renversaient pas l’autorité des pères de l’église ; mais leur foi, se mettant en présence de la révélation toute pure, c’est-à-dire de la Bible, apprit à se prononcer contre les pères. Sous Charles Ier, la brèche était faite, la forteresse démantelée du côté de la littérature ecclésiastique ; la théologie entreprit alors sur les conciles. Ce n’est pas tout : la foi ne suffit plus, on veut des preuves ; la tradition, la primitive église, sont attaquées. Il n’y a plus que la Bible et la raison humaine l’une en face de l’autre, incontestées encore toutes deux et obligées de s’accorder étroitement. Tel est l’esprit du XVIIe siècle anglais ; il se compose de la croyance dans un livre divin dont nul ne doute et d’une confiance dans la raison que personne, sauf en ce point, ne limite.

Au XVIIIe siècle, nouvelle évolution. La raison, revendiquant ses droits, ne se contente pas de repousser tout, excepté la Bible ; elle sépare ce qui est divin de ce qui est humain, la foi de la morale, la religion de la politique. Cent ans plus tôt, l’on faisait consister le progrès à les unir. Cumberland, évêque de Peterborourgh, écrit un traité de morale qui ne s’appuie pas sur la révélation. Warburton, évêque de Glocester, veut que l’état considère la religion au point de vue de l’intérêt public, non de la foi, et favorise une communion en proportion, non de son orthodoxie, mais de son utilité. Paley, archidiacre de Carlisle, est le Bentham de la théologie ; il pousse si loin la théorie de l’utilité, il en fait si bien la base de la morale et de la religion, qu’on a pu comparer ses croyances au scepticisme de Hume. La théologie ne peut aller plus loin dans le scepticisme, elle ne peut réduire davantage le minimum de croyance à moins de cesser d’être la théologie. Aussi est-elle en décadence depuis deux cents ans. Les théologiens de ce pays font des traités de logique, de chimie, de mathématiques ; ils écrivent des histoires et des commentaires sur les poètes grecs.