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contre-temps. Parcourez le cercle des objets dans lesquels cette malencontreuse initiative se donne carrière, et vous verrez que dans tout ce qu’elle touche elle porte le désordre et la mort. Que penser du commerce ? Il faut qu’il soit doué d’une puissance de vie incroyable pour avoir résisté à tous les règlemens autrefois imaginés en sa faveur. Que dire de la religion ? Elle n’a pas de chaîne plus pesante que celle des gouvernemens qui se mêlent de la protéger. Parlerons-nous de l’intérêt de l’argent, de la liberté de la presse ? Dans cette double circulation de la richesse et de la pensée, la main du gouvernement, même dirigée par les meilleures intentions, est impuissante : c’est la main d’un empirique ignorant qui provoque l’épuisement ou la paralysie du corps social ; s’il ne détruit pas la santé, c’est que les nations modernes sont des personnes vigoureuses, bien portantes malgré le médecin. On regarde souvent l’éducation de la jeunesse comme le domaine de l’activité gouvernementale. On perd de vue l’inévitable stérilité des efforts d’un gouvernement quand il se substitue au mouvement spontané de la société. Tantôt il remonte, tantôt il devance le progrès ; plus souvent encore il est à côté. Il ne nage pas dans le courant, il amasse tout au plus quelque petite flaque d’eau dans laquelle il se livre aux exercices d’une natation pénible. L’eau s’écoule, et il reste à sec. Dans toutes les matières que nous, venons de parcourir, la fonction du gouvernement est de réprimer le désordre, d’empêcher l’oppression du faible par le fort, de préparer les lois comme on prépare les règlemens pour la santé publique. Ce sont là des services d’une grande valeur ; qu’il s’y tienne, et qu’il n’ait pas l’ambition de faire le progrès des peuples ! Qu’il interroge l’opinion publique sans lui dicter une réponse, qu’il laisse la pression environnante s’exercer librement sans prétendre la créer ! Sa vraie fonction est de céder : n’y pas consentir ou aller au-delà, c’est également abuser du pouvoir et compromettre tout autant le progrès. Entre toutes les influences qui agissent sur la marche continue des sociétés, religion, morale, littérature, gouvernement, le gouvernement a le moins de part au progrès social. L’activité de l’intelligence, les lois intellectuelles de l’humanité, voilà ce qui pousse les hommes toujours plus avant, parce que c’est aussi ce qui grandit et s’accumule de siècle en siècle.


III

Parvenus au point culminant du positivisme appliqué à l’histoire, mesurons le chemin que nous avons parcouru. Buckle a établi, autant qu’il dépendait de lui et de sa méthode, qu’il y a des lois