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gouvernement comme de la religion et de la société : il est la conséquence de l’état des esprits, et quand les choses suivent leur cours naturel, de Maistre a dit vrai, les peuples ont le gouvernement qu’ils méritent. Les gouvernans sont les créatures, non les créateurs de leur siècle. Ils ont habité le plus souvent le pays qu’ils gouvernent ; ils ont été pénétrés de ses idées, nourris de sa littérature, allaités de ses préjugés et de ses traditions. Leur gouvernement est l’effet, non la cause du progrès social. Point de progrès politique, point de grande réforme qui ait son origine dans les gouvernans : toutes peuvent être rapportées a quelque penseur original et hardi qui découvre un abus, le dénonce, indique le moyen de le corriger. Longtemps après que le penseur a fait son œuvre, l’œuvre des gouvernans est encore à faire, et ils s’évertuent à ne pas l’accomplir. A la fin, si les circonstances sont favorables, la pression du dehors devient si forte qu’ils sont contraints de céder. La réforme accomplie, on crie au triomphe, on bat des mains au gouvernement, on admire sa courageuse sagesse ; on lui doit tout, il monte au Capitole, essuyant la sueur de son front :

Respirons maintenant !
J’ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.


C’est l’histoire des progrès législatifs. L’abolition des corn-laws ou des lois sur l’importation des céréales en a été l’exemple le plus frappant, et ceux qui les ont abrogées obéissaient à un mouvement qui avait commencé avant leur naissance. Le parlement n’eut que le mérite de céder à ce mouvement, et la ligue établie à cette occasion celui d’y apporter son aide ; l’un et l’autre avancèrent de quelques années ce que l’état des lumières avait rendu inévitable. Dans les discours des chambres, dans les allocutions des hustings, rien de nouveau, rien qui n’eût été dit, imprimé, commenté dans les journaux et dans les livres depuis cent ans, depuis la première voix qui fit entendre le mot de liberté du commerce.

Non-seulement les gouvernemens, dans le cours naturel des choses, obéissent aux idées de leur temps, mais leurs mesures les plus nécessaires sont négatives. Les meilleures consistent presque toujours dans l’abolition de quelque loi précédente, en sorte que leur bienfait se réduit à effacer le mal dont ils étaient les auteurs, et que, si l’on fait l’état de leurs services et de leurs fautes, il est peu probable que la balance soit en faveur du bien. Nouvelle preuve qu’ils ne peuvent être une cause de progrès. Sans doute les gouvernemens prétendent agir d’une manière plus positive, on dit : l’initiative du gouvernement. La fonction de faire naître le progrès n’est pas la leur, ils la remplissent mal ou l’exercent à