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qui ne change pas, aux lois intellectuelles ou bien aux lois morales ? C’est de la logique positive : lorsque le conséquent change et que pour trouver l’antécédent il faut choisir entre deux faits, l’un variable, l’autre invariable, c’est au premier qu’on doit forcément s’arrêter. Cuvier avait déjà remarqué une différence de fécondité entre les vérités intellectuelles et les vérités morales. « Le bien que l’on fait aux hommes, dit-il, quelque grand qu’il soit, est toujours passager ; les vérités qu’on leur laisse sont éternelles. » Il voulait recommander la science par le caractère durable de ses résultats. Mackintosh a de même laissé des observations curieuses sur le caractère stationnaire des vérités morales. « La moralité, dit-il, n’admet pas de découvertes… Plus de trois mille ans se sont écoulés depuis la composition du Pentateuque ; qu’on indique, si l’on peut, un seul point important où la règle de la vie humaine ait varié depuis cette époque ! » Il se proposait de montrer que l’âme humaine a possédé dès le commencement tout ce qui était nécessaire à sa vie. Buckle tire des mêmes principes de tout autres conséquences. De ce que les sociétés humaines ont toujours ou à peu près vécu sur les mêmes vérités morales, il conclut que ce n’est ni la vertu, ni la bienfaisance, ni l’amour de la patrie et de l’humanité, que c’est l’intelligence et la science qui ont procuré le progrès social. Une déduction géométrique ne suffisant pas pour établir une thèse si étrange, il s’efforce de la vérifier par l’étude des faits.

S’il y a des faits que devrait condamner la morale et que devrait haïr la vertu, ce sont la persécution religieuse et la guerre. Quels sont les hommes qui se sont rendus le plus célèbres par la persécution des croyances ? Étaient-ils des monstres de cruauté ou des intelligences égarées par de faux principes ? Les violences les plus cruelles contre les chrétiens ont été ordonnées par des empereurs vertueux qui se trompaient. Philippe II, en signant l’arrêt de mort des calvinistes des Pays-Bas et des mahométans de l’Espagne, croyait obéir à la religion. Les historiens critiques et véridiques de l’inquisition ont reconnu que les plus redoutables des inquisiteurs étaient des hommes aussi vertueux que religieux. Tous étaient dans l’erreur. D’où vient que les bûchers ont disparu même en Espagne, et que la persécution religieuse est devenue impossible ? Les esprits se sont éclairés, l’erreur a été dissipée. Ce progrès social est dû au mouvement incessant de l’intelligence.

Si ce fait de la persécution ne paraît pas suffisamment éclairci, Celui de la guerre, qui nous touché de plus près, nous autres modernes, est sujet à des observations plus concluantes. La guerre ne paraît pas encore près d’être effacée de la liste des fléaux humains ;