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les intelligences et communique une nouvelle énergie, redoutable peut-être, aux lois intellectuelles qui lui ont donné naissance. Voilà en quelques mots l’image de l’histoire de l’Europe ; elle n’est que la série des victoires de l’homme sur la nature, tandis que la victoire constante, monotone de la nature sur l’homme compose le fond de l’histoire des nations asiatiques. Si vous voulez connaître l’Asie, celle du présent et celle du passé, étudiez les lois physiques ; mais si vous entreprenez d’analyser la philosophie de l’histoire de l’Europe, si votre étude a surtout pour objet l’une des deux nations les plus civilisées de cette partie du monde, laissez de côté les lois physiques, elles n’ont presque rien à vous apprendre. La misère des peuples qui végètent s’explique par des considérations tirées du climat et du sol ; les peuples qui vivent et font vivre les autres dépendent peu de la nature matérielle, Beaucoup de leur intelligence et de leur civilisation. Leur climat est généralement tempéré, et ils peuvent au besoin le combattre ; leur nourriture est assurée, et ils savent d’ailleurs la rendre abondante, salubre, variée ; leur sol est commode, uniforme même, et ils ont l’art de le remanier comme un propriétaire son champ ou sa maison. Est-ce une chaîne de montagnes qui les arrêtera ? Ils la perceront. Faut-il la supprimer ? Ils l’entreprendront. Non, ce n’est pas en Europe qu’il faut chercher l’homme soumis en esclave aux lois de la matière. L’histoire de l’Europe n’est que l’histoire même du développement des lois mentales dans la civilisation.

Nous avons insisté sur ce point : il nous semblait intéressant de recueillir chez un positiviste la réfutation de ces idées du pouvoir des races et de l’action des climats sur les nations européennes, idées tombées dans le domaine public, confinant désormais au lieu commun, et où le spiritualisme n’est pas plus particulièrement intéressé que la science. Le mérite et l’originalité de Buckle est d’avoir donné des preuves là où les autres n’apportaient que des affirmations et des probabilités. Nous sommes loin d’être convaincu qu’il ait trouvé le secret de l’histoire ; mais il est permis de le dire, personne avant lui n’avait mis si bien en lumière l’importance des lois mentales, personne ne l’avait étayée sur des raisonnemens qui approchent davantage de la démonstration. Si le problème de la méthode positive par laquelle on peut espérer de découvrir quelques lois de l’histoire n’est pas résolu par Buckle, il semble du moins en voie de l’être. Il y a des lois mentales qui en apparence gouvernent les événemens dans les nations civilisées, et ces lois paraissent destinées à contre-balancer et à vaincre les lois physiques.

Les lois mentales sont ou morales ou intellectuelles, les unes relatives à la volonté de l’homme, les autres à son intelligence, les