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ces caractères et d’établir une grande loi de la nature humaine. Les divinités de l’Inde, objet d’horreur pour les yeux, d’épouvante pour l’esprit, sont le produit d’une imagination hantée par la mort et frappée des spectacles d’une nature trop puissante. Les divinités de la Grèce sont tout humaines ; plus belles que des hommes et plus fortes, elles restent pourtant des hommes. Nées au sein d’une nature plus clémente, elles portent la marque d’une intelligence qui n’est pas affaissée sous le poids des lois physiques.

Les lois mentales de l’histoire ne sont autre chose que l’homme lui-même réagissant contre la nature, triomphant des lois physiques, ne les détruisant pas, ce qui est impossible, mais en prévoyant les résultats pour les mettre à profit ou les neutraliser. En vertu de ces lois que l’homme exécute spontanément, c’est-à-dire sans en avoir ni la conscience, ni le propos délibéré, les nations domptent peu à peu les intempéries du climat, proportionnent la nourriture à leurs besoins, améliorent les dispositions de leur sol, se familiarisent avec les terreurs dont les assiège la nature. Combien l’homme reste encore faible et désarmé devant tant de maux qu’il ne sait pas prévoir, combien son orgueil reçoit encore de leçons ! Des désastres récens nous le font assez connaître ; mais son incurie, son penchant à compter sur autrui, reçoivent ce châtiment plus encore que son orgueil. Nous avons en ce moment même le spectacle de l’homme civilisé profitant pour son compte des ressources que l’état social lui a préparées et ne sachant pas étendre les bienfaits de sa prévoyance à l’homme barbare, qui vient périr à sa porte avec l’impassibilité d’un superstitieux fatalisme. Grâce au ciel, les effroyables famines du moyen âge sont devenues impossibles ; mais la faim a rôdé cette année autour des nations civilisées. L’intelligence de l’homme a encore des victoires à remporter sur la nature ; cependant, il importe de le dire et de le répéter bien haut, les lois de l’intelligence humaine transforment cette nature. Il ne paraît pas que les lois physiques soient destinées à s’aggraver, à s’appesantir sur l’homme : cette probabilité consolante résulte de tout ce que nous apprennent l’histoire et la science ; il n’est pas douteux au contraire que les lois mentales étendent de plus en plus leurs conquêtes.

Partout où les lois mentales s’exercent, le sol est bouleversé, on nivelle des montagnes, on dispute la terre à l’océan ; les rivières torrentielles ou semées d’obstacles sont rendues navigables ; les pays sans rivières sont traversés par des canaux, les rivages inabordables sont coupés de rades et de ports. La chimie. contraint la terre à devenir fertile, et les sources de la nourriture des peuples jaillissent du sol le plus avare. L’industrie change en quelque sorte