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groupés entre eux de manière que l’observateur remonte aisément de l’effet à la cause ou du conséquent à l’antécédent, du phénomène qui suit au phénomène qui le précède, dans tous les temps, dans tous les cas. Quand l’histoire sera constituée, c’est-à-dire quand il n’y aura plus de faits dont l’antécédent invariable, irrécusable, ne soit constaté, on pourra prédire scientifiquement les événemens, puisque, les antécédens étant connus, on connaîtra toujours les conséquens. J’expose, je ne réfute pas ; je m’abstiens même d’indiquer les applications à la politique et au gouvernement des sociétés. Comment la philosophie positive de l’histoire parviendra-t-elle à grouper les faits ? Jusqu’ici les philosophes, s’appuyant sur les notions de la métaphysique ou de la psychologie, n’étaient pas arrêtés dès l’abord par de bien grandes difficultés. Ils commençaient par concevoir certaines lois générales empruntées à la théologie ou puisées dans la connaissance de la nature humaine et de l’organisation des sociétés ; puis, transportant ces idées préconçues dans l’histoire, ils s’efforçaient de les appliquer aux réalités qu’ils y rencontraient. Leur procédé était quelquefois plus ingénieux que solide. Cependant on ne pouvait refuser à leur théorie le titre de science ; c’était au moins de la science métaphysique. Quant à leur point de départ, il était inattaquable. Ils croyaient à un plan dans l’histoire comme ils croyaient à un plan dans l’univers.

La philosophie positive de l’histoire n’a pas le droit de supposer qu’il y a un ordre et un arrangement dans les événemens humains : il faut qu’elle le prouve directement avant de songer à faire un pas de plus. En second lieu, ni la métaphysique, où l’on puise les notions premières et absolues, ni la psychologie, qui procède des phénomènes de conscience, ne peuvent lui fournir une de ces synthèses provisoires, mais utiles, que l’observation vient ensuite vérifier. Il faut qu’elle se résigne à remuer des événemens au hasard, à les tourner, à les retourner, jusqu’à ce qu’elle ait saisi quelques rapports, quelques liens entre eux. Ce qui est déjà très long et très difficile dans un ordre restreint de phénomènes, il faut qu’elle le tente dans l’universalité des faits sans autre guide que le tâtonnement ; le travail que Descartes recommande de faire sur chaque sujet isolé de notre pensée, il faut qu’elle l’entreprenne sur l’infinie variété des événemens. Par où commencer ? par où pénétrer dans ce chaos ? comment se diriger dans cet océan ? Il y a donc deux difficultés dont la solution s’impose tout d’abord à la philosophie positive. Pour emprunter le langage de cette philosophie, c’est un théorème et un problème : le théorème a pour but d’établir qu’il y a des lois dans l’histoire, que l’objet même que l’on cherche existe réellement ; le problème consiste à trouver une route, un sentier