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mais la bonne foi, l’amour de la vérité, l’amenèrent, en ses derniers temps, à rendre justice au génie critique de l’Allemagne et aux patientes recherches que les universités des pays germaniques ont portées dans toutes les branches du savoir[1]. Ce fut surtout en trouvant les savans allemands si zélés pour notre vieille littérature du moyen âge, si empressés à reconnaître sa priorité, si dégagés de ces partis de vanité nationale qui l’avaient choqué chez les Italiens, chez les Espagnols, qu’il rendit les armes et reconnut la justesse de leurs méthodes. Cela était d’autant plus méritoire que les opinions universitaires étaient, si l’on ose ainsi dire, sa religion ; les abandonner dut être pour lui le plus difficile des sacrifices : il le fit à la vérité.

Il pratiquait une tolérance absolue. Sa philosophie était celle de ses auteurs favoris, celle de Cicéron tempérée par celle de Montaigne : il était sceptique, non-seulement à l’égard de la religion révélée, mais à l’égard de toute philosophie dogmatique. Il ne s’interdisait pas de sourire discrètement de l’espèce d’orthodoxie philosophique que M. Cousin, dans la deuxième moitié de sa vie, essaya de fonder. Dans les thèses philosophiques, il accueillait volontiers par quelque léger sarcasme les prétentions intempérantes des jeunes gens à démontrer l’indémontrable ; mais la sincérité touchante de M. Damiron, sa vie si pure, le frappaient de respect. Les jeunes ecclésiastiques, d’un autre côté, trouvaient chez lui la réception la plus empressée. Un moment, quand il put espérer que l’école des Carmes, sous la direction de l’abbé Cruice, renfermait un germe de bonnes études, il encouragea les efforts qui s’y faisaient. Un de ses amis les plus chers était Ozanam ; il ne partageait pas ses convictions religieuses, mais il aimait son goût pour les lettres, sa chaleur de cœur, sa belle imagination. Le ferme jugement, la solide connaissance de l’antiquité et la droiture de M. Havet obtenaient de lui la même sympathie.

La vie de famille se borna pour lui au culte de sa mère. Déjà parvenu à la vieillesse, il avait pour elle la respectueuse obéissance d’un enfant. Sa bonne et fidèle nature semblait le destiner à d’autres affections et à d’autres devoirs. Sous les préoccupations de l’érudit passionné, il put dissimuler, plus d’un regret ; mais il eût cru trahir sa mère en contractant des liens en dehors d’elle. Pour elle, il dérogea même à ses habitudes les plus chères ; il quitta sa Sorbonne et acheta une maison de campagne au Plessis-Gassot, près d’Écouen. Après la mort de Mme Le Clerc, il donna la maison à la commune pour servir d’école. Hélas ! il avait compté sans « cette

  1. Voyez sur ce point et sur bien d’autres l’excellent éloge de M. Le Clerc prononcé par M. Guigniaut, dans la séance du 3 août 1866 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.