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beaucoup de violence : « Vous venez de prouver, cher confrère, lui dit-il, qu’on peut être honnête sans être modéré. » Il se montra sympathique aux efforts de quelques jeunes écrivains de l’Université qui, dans un recueil appelé la Liberté de penser, eurent le courage d’exprimer des opinions sincères avec beaucoup de franchise. M. Le Clerc fut peut-être le seul homme chez qui la révolution de 1848 ne laissa aucune trace, qui se retrouva le lendemain ce qu’il avait été la veille. La même chose était arrivée à M. Daunou, lequel sortit des prisons de la terreur aussi ferme, aussi confiant dans les principes qu’il l’était en 1789. Quand vint le triomphe complet de la réaction, M. Le Clerc résista de toute sa force, défendit les jeunes gens qui s’étaient compromis et ne négligea rien pour contre-balancer les efforts systématiques que l’on fit pour détruire l’Université. Un homme de moindre autorité eût été emporté par la force des temps. M. Le Clerc ne recula pas ; on le respecta, et au milieu de l’abaissement général la Sorbonne resta ce qu’elle avait été auparavant. S’il ne se fit pas plus de mal en ces années funestes, c’est en grande partie à M. Le Clerc qu’on le doit. Il s’exprimait sur la nouvelle loi de l’instruction publique de la manière la plus vive ; il la regardait comme la destruction des études, et ne cessa de protester que quand le mal eut été en partie réparé.

Il allait ainsi vers la vieillesse, soutenu par ses nobles études, entouré d’anciens amis, M. Hallays, M. Viguier, et d’une jeunesse laborieuse qui cherchait à réjouir ses dernières années. Il suivait avec une sollicitude paternelle ceux qu’il avait choisis ; leurs succès étaient les siens. A l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en particulier, il voulait des jeunes gens ; il pensait que les académies ne doivent pas être des sénats servant de retraite aux savans émérites, et que l’Académie des Inscriptions, cumulant le double héritage de l’ancienne Académie et des bénédictins, le doit moins qu’aucune autre. Son autorité dans la compagnie était de premier ordre ; nulle parole n’était plus écoutée que la sienne. Par son influence dans les élections, par les sujets de prix qu’il fît proposer et qui presque tous se rapportaient à ses études favorites, il laissa dans ce grand corps un souvenir qui ne s’effacera pas.

Ce qui caractérisa M. Le Clerc, ce fut la faculté de s’améliorer sans cesse. Il fut continuellement en progrès sur lui-même, ses idées s’élargissaient chaque jour. Les préjugés qu’il avait puisés dans sa première éducation contre la critique allemande s’étaient presque effacés. Ses études approfondies sur les poèmes et les chroniques du moyen âge lui avaient fait comprendre l’essence de l’histoire populaire. Dans certaines questions, surtout en celles qui touchent à l’authenticité des ouvrages anciens, il n’abandonna jamais tout à fait les habitudes un peu confiantes de notre vieille école ;