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classe administrative éclairée ; le ministre a désormais un rôle distinct ; le roi n’est plus seulement entouré de nobles et de moines ; l’esprit gallican se renforce ; la judicature s’améliore. Si la noblesse est fort abaissée, si elle manque déplorablement à ses devoirs, la bourgeoisie, la nation, suit un progrès lent, mais sûr. Tandis que, dans les fabliaux du XIIIe siècle, le roturier est toujours lâche, avare, ridicule en amour, ordurier, n’ayant de goût que pour de sottes et honteuses histoires, maintenant le bourgeois, l’auteur du Ménagier de Paris par exemple, est bien plus délicat, plus noble qu’un gentilhomme comme Latour-Landry. Le fils du roturier arrive à tout par l’instruction. La littérature du tiers-état commence. Les principes les plus nets de ce que nous appelons le libéralisme et même la révolution sont hardiment proclamés. Un chancelier de France, Miles de Dormans, évêque de Beauvais, voulant calmer en 1380 une sédition parisienne, crie tout haut : Etsi centies negent reges, régnant suffragio populorum. Le mot de « tyran » devient français. Grâce à l’Université, Paris est la ville de la doctrine, la ville des livres, sinon la ville du génie. Les fondations de collèges, qui ne furent jamais plus nombreuses qu’en ce siècle, sont une cause puissante d’affranchissement pour la bourgeoisie ; on arrive à être chef d’ordre, évêque, cardinal, pape même, par l’Université. Nicolas Oresme, Etienne Marcel, Robert Le Coq, sont des caractères d’un genre nouveau auxquels les siècles antérieurs du moyen âge n’ont rien à comparer. Ils font revivre ces types perdus de l’orateur politique, du publiciste, du tribun populaire, que la France n’avait jamais connus jusque-là.

Voilà des résultats qui consolent l’historien de ne trouver guère en ce XIVe siècle que des écrivains sans art, des poètes médiocres et une langue qui périt. D’ailleurs les âges de décadence d’une littérature sont souvent ceux où elle exerce le plus d’influence sur les étrangers. De même que l’art italien, au temps des Rosso et des Primatice, rayonnait plus hors de l’Italie qu’au temps de Raphaël, de même le XIVe siècle, qui vit la fin de la belle littérature française du moyen âge, fut justement l’époque où les compositions françaises firent le tour du monde et furent le plus traduites ou imitées. M. Le Clerc saisit cette occasion pour présenter dans toute sa force la thèse qu’il avait déjà plusieurs fois exposée, savoir la priorité de la littérature française du moyen âge. Ce fait général que toutes les littératures modernes de l’Europe ont commencé par être tributaires de la nôtre, il l’établit d’une façon décisive pour l’Angleterre, l’Allemagne, la Flandre, la Suède et l’Islande, l’Espagne et l’Italie, même dans une certaine mesure pour la Grèce, c’est-à-dire pour presque tous les pays chrétiens qui eurent au moyen