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l’Italie n’a pas inventé ; il trouva ces jolis « tournois » burlesques, et surtout Audigier, cet incroyable poème qu’on peut appeler le poème du laid, où le noble moyen âge semble se tourner lui-même en dérision et traîner dans la boue ce qu’il adorait ; il trouva surtout ce curieux Dit d’aventures, raillerie des poèmes chevaleresques, sorte de Don Quichotte où les « bourdes » des conteurs d’aventures sont raillées sur un ton qui rappelle tantôt Cervantes, tantôt les plaisantes assurances de véracité de l’Arioste. Pas une des données des littératures modernes, pas une machine poétique, pas un épisode amusant ou émouvant des poèmes romantiques que notre XIIIe siècle n’ait possédés. Par quelle fatalité a-t-il pu se faire qu’avec tant de spirituelles inventions il n’ait su ni produire un chef-d’œuvre durable, ni se préparer pour le siècle suivant des continuateurs ?

C’est le problème que M. Le Clerc examina sous toutes ses faces dans le discours préliminaire à l’histoire des lettres en France au XIVe siècle. Avec le tome XXIIIe, on avait fini le XIIIe siècle. On allait aborder le XIVe siècle, époque bien plus difficile en un sens, car les anciens bibliothécaires l’ont beaucoup moins étudiée que le XIIe et le XIIIe. L’usage des bénédictins fut, en tête de chaque siècle, déplacer un discours général sur l’état des lettres et des écoles, afin de donner ainsi place à des considérations d’ensemble que ne pouvaient renfermer les notices séparées. C’est encore dom Rivet qui publie en 1750 le discours sur l’état des lettres en France au XIIe siècle. En 1824, M. Daunou fit paraître le discours sur le XIIIe siècle ; la commission confia à M. Le Clerc le discours sur le XIVe. M. Le Clerc donna à cet ouvrage des propositions jusque-là inusitées. Le XIVe siècle est en littérature bien inférieur au XIIe et au XIIIe. La langue, déjà fort abaissée sous les successeurs immédiats de saint Louis, perd sous les Valois toute régularité, toute dignité littéraire. L’esprit poétique est mort, toute originalité philosophique a cessé, la science fait très peu de progrès, la France n’occupe plus dans les lettres la première place qu’elle avait tenue jusque-là, l’Italie la dépasse de beaucoup. Brunetto Latini, mort en 1294, n’est en rien supérieur à ses maîtres de France ; Dante, Pétrarque, sont de tout point supérieurs à leurs contemporains de deçà les monts. Mais l’intérêt que le XIVe siècle n’a pas en littérature, il l’a en politique. C’est un siècle d’action et de révolutions. « Il commença, dit M. Le Clerc, beaucoup de choses dont quelques-unes ne sont pas encore achevées. » Philippe le Bel et son triompher durable sur la papauté altière du moyen âge, la fondation d’une royauté administrative, la naissance de l’état, d’importantes victoires du droit civil sur ce qu’on appelait la loi divine, la constitution régulière des