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harmonie charmante. Dans les cantilènes profanes éclatent déjà toute la légèreté, toute la finesse de l’esprit français. Tel recueil de chansons latines du XIIIe siècle, — les Carmina Burana par exemple, — égalent par la variété des strophes, par la gaîté de la phrase dominante, par l’heureux agencement des refrains, tout ce que les chansonniers modernes ont fait de plus exquis. Ce sont le plus souvent des chansons d’étudians, de clercs ribauds, de truands, de cette burlesque familia Goliœ, sur le compte de laquelle on mettait toutes les bouffonneries ; d’autres fois, des satires spirituelles contre les désordres des moines et du clergé, contre l’avarice et les exactions de la cour de Rome, contre les vices du siècle ; parfois d’innocentes plaisanteries, d’inoffensives histoires de curés à la façon de Gresset. M. Le Clerc aimait ces témoignages de la vieille liberté cléricale ; il aimait à plier son style grave à redire les folies des « goliards, » leurs tensons, leurs chansons d’amour, leurs chansons à boire, leurs messes burlesques, leurs parodies souvent risquées. Il plaçait très haut la Confessio Goliœ, petit chef-d’œuvre sur lequel la chronique de frà Salimbene, publiée depuis, a fourni des renseignemens décisifs. Il fit rechercher en Allemagne le Gaudeamus, le chant des anciennes fêtes universitaires. Plus d’une fois, en traitant de ces libres monumens de la gaîté du moyen âge, quelque fine malice, quelque sourire discret, se mêlaient à son exposition savante ; il se retenait avec art dans la carrière glissante où les chansonniers du temps de saint Louis ne surent pas toujours s’arrêter.

Il porta les mêmes qualités dans la longue étude qu’il consacra aux fabliaux en langue vulgaire. Les fabliaux sont peut-être le plus riche héritage que nous ait légué le vieil esprit français. L’abondance, la hardiesse, le naturel, l’originalité de nos aïeux dans ce genre de poésie familière, sont chose admirable. Il est vrai que l’Italie les a surpassés par la science du style et l’habileté de la mise en œuvre ; mais il ne faut pas oublier que, si Boccace et les auteurs des nouvelles italiennes ont montré beaucoup plus d’art que nos conteurs du XIIIe siècle, ils leur ont tout emprunté pour le fond des idées. Quand La Fontaine croit tout devoir à Boccace, il se trompe ; il ne fait que reprendre à l’étranger ce que l’étranger avait pris à nos vieux conteurs gaulois. Ceux-ci, on ne le conteste pas, avaient eux-mêmes reçu des sujets de toutes mains ; les romans de l’antiquité, l’Orient, la mythologie, les vies des saints, furent par eux mis à contribution ; mais ils inventèrent beaucoup aussi. Des fabliaux qu’on peut admirer encore, Saint Pierre et le Jongleur, les Deux Chevaux, Guillaume au faucon, le Vilain qui conquit le Paradis par plaid, la plupart des petits drames où agissent et parlent