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vérités, » fut un vrai libéral, presque un républicain ; il fit un cours de politique qui laissa chez plusieurs de ses auditeurs une profonde impression ; il fut le maître de Pierre Du Bois, le conseiller intime et le publiciste de Philippe le Bel. Son principe était que « de bonnes lois valent mieux que de bons gouvernans. » L’idée qui manque le plus au moyen âge avant Philippe le Bel, l’idée de « la chose publique » ou de l’état, Sigier la développa avec une netteté qui surprend.

Cette pénible naissance de la société laïque, cette lente émancipation du mondain, longtemps étouffé sous le poids colossal d’un culte impérieux, M. Le Clerc aimait à l’étudier dans les faits les plus divers. Les chroniques, qui furent pour la plupart dévolues à son examen, lui en fournirent souvent l’occasion. Il y remarquait curieusement tout ce qui pouvait éclaircir les origines de l’esprit moderne. À côté de l’histoire monacale, dure et malveillante pour tout le monde, excepté pour les protecteurs du couvent, il trouve déjà des chroniques laïques bien supérieures, où l’on voit la critique se dégager peu à peu des liens de l’ancienne abnégation claustrale. La curiosité maligne, qui est déjà presque de la liberté chez Baudouin de Ninove, les expressions sévères de Geoffroy de Courlon sur la papauté, les jugemens sur l’église qu’on remarque dans les chroniques fabuleuses, telles que la chronique dite de Rains, celle dite de Baudouin d’Avesnes, sortes de romans historiques faits pour le peuple, étaient pour lui des signes de l’émancipation de l’histoire. Gotfrid d’Ensmingen, notaire du sénat de Strasbourg, est bien plus remarquable. Deux cent trente ans avant Luther, l’insurrection religieuse éclate chez lui avec une vigueur toute germanique. Guillaume de Nangis n’offrit rien à M. Le Clerc qui le distinguât des autres moines historiens ; mais à diverses reprises il signala le fait singulier de son dernier continuateur, le carme Jean de Venette, professant les doctrines les plus démocratiques et écrivant déjà l’histoire avec un plein sentiment des droits du peuple.

La poésie latine fut aussi le partage de M. Le Clerc. Quand le moyen âge veut imiter les rhythmes de l’antiquité classique, il réussit bien rarement. Ses hymnes liturgiques assujetties à la prosodie de l’antiquité, ses poèmes solennels, comme celui de Jean de Garlande, ont quelque chose de faible, de banal, d’écolier. Il faut faire des exceptions pour Vital de Blois, Guillaume de Blois, Matthieu de Vendôme, qui, par une vraie connaissance de la poésie classique, surtout de Plaute, arrivèrent à produire deux ou trois scènes du meilleur comique. Quant aux pièces latines où, renonçant à la quantité, les poètes se conformèrent aux rhythmes de la poésie vulgaire, elles sont bien supérieures. Quelques hymnes à la Vierge sont d’une