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plus suivies. Il prouva qu’on les prononçait souvent en langue vulgaire. Il fallut le courage de notre savant maître pour lire et analyser ces fastidieux répertoires d’allégories puériles, de calembours, d’historiettes inconvenantes, de recettes presque mécaniques, qui entretinrent si longtemps dans le clergé la routine et la paresse d’esprit. Le plus singulier de ces manuels ou recueils de topiques est le Dormi secure ; M. Le Clerc montra que ce titre naïf avait été ajouté à un recueil plus ancien par les premiers typographes, jaloux de spéculer sur l’envie de dormir du curé arrivé au samedi soir sans avoir préparé son sermon.

Ses études sur l’histoire du droit canonique furent des plus approfondies. La fin du XIIIe siècle et le commencement du XIVe furent l’époque où les légistes prirent le pas sur les théologiens. Guillaume Durant ! , dit le Spéculateur, Provençal, qui joua en Italie un rôle de premier ordre et fut le bras droit de dix papes durant un espace de trente ans, Jacques de Revigni, Pierre de Sampson, d’autres encore, tombèrent en partage à M. Le Clerc. Sa notice sur Guillaume Duranti en particulier est un morceau capital. Les statuts et l’histoire intérieure des ordres religieux lui étaient merveilleusement connus. La puérilité des discussions ne le rebutait pas, et il exposait la controverse des barrés, dont l’objet était de savoir si le manteau d’Élie eut des barres, avec autant de plaisir que les plus intéressantes questions de littérature. Les statuts synodaux et autres actes ecclésiastiques lui montrèrent l’église se resserrant, se fortifiant, devenant de plus en plus tyrannique contre les juifs et les hérétiques, supprimant la Bible, amoindrissant l’enseignement. Les registres de visites de l’archevêque de Rouen, Eudes Rigaud, lui offrirent la plus riche source d’informations authentiques sur les mœurs du clergé. Il combattit les puériles idées qu’on s’est faites sur le moyen âge en l’imaginant comme une époque de mœurs pures et de docile soumission. Il montra qu’en fait de révolte, d’opposition au clergé, de déclamation souvent injuste contre les prélats et contre Rome, le XIIIe siècle n’eut rien à envier au siècle de Luther. Une bonne fortune sous ce rapport lui fut réservée. Le curieux poème de Gilles de Corbeil, médecin de Philippe-Auguste, intitulé Girapicra ad purgandos prœlatos, encore inédit, vint le trouver ; il en donna la première analyse étendue, et le rapprocha de tant d’autres piquantes satires que les hommes les plus attachés au christianisme dirigeaient alors contre le clergé. C’est quand on a su entendre ce cri universel de réprobation que l’on comprend combien la réforme était près d’aboutir au XIIIe siècle, et que l’on est surpris de la voir tarder encore deux ou trois siècles à se faire. Les terribles mesures par lesquelles l’église défendit son pouvoir furent la cause de ce