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mêmes pèlerins lui fournirent l’occasion de montrer comment le pèlerinage de Galice vint du même esprit que les croisades et par quelle série de pieuses supercheries on réussit à le rattacher à l’histoire fabuleuse de Charlemagne. Peu d’articles sont plus importans à lire pour se rendre compte des principes de critique qu’il faut appliquer à l’hagiographie et aux chansons de geste.

Les vies de saints et de saintes échurent en général à M. Le Clerc. C’était là au XIIIe siècle un genre de littérature bien épuisé, donnant lieu à mille plagiats, abondant en déclamations, en lieux communs, et, selon l’ingénieuse comparaison de M. Le Clerc, « en fraudes pareilles à celles de la statuaire antique, qui, sans rien changer à l’attitude ni aux draperies de ses héros, substituait à la tête d’un empereur proscrit celle d’un autre tyran qui régnait encore. » Ce sont partout les mêmes apparitions, les mêmes vertus, les mêmes miracles. Des biographies pieuses de personnes qui n’ont pas été canonisées, en particulier de quelques saintes flamandes et brabançonnes, sœurs aînées d’A Kempis, ont plus d’accent et forment de jolis tableaux de sainteté douce et tranquille. La notice de M. Le Clerc sur Marguerite de Duyn, prieure de la chartreuse de Poletin, est pleine d’un sentiment très juste de la mysticité chrétienne. Cette recluse nous a laissé une apocalypse fort curieuse et des méditations, écrites en partie en français, qui rappellent sainte Thérèse et Marie d’Agreda. La vie de Béatrix, vierge d’Ornacieu, permet aussi d’étudier de près ces illusions d’une affectueuse piété, ces rêves touchans, même quand ils font sourire, d’une recluse qui eût été une mère excellente et qui remplace les sentimens qui ne sont pas à sa portée par une dévotion tendre et presque maternelle. M. Le Clerc ajouta une page importante à l’histoire du christianisme en explorant cette province peu connue du monde mystique.

Quand M. Le Clerc entra dans la commission de l’Histoire littéraire, les notices sur les grands scolastiques étaient, déjà faites. Dans ses articles sur Humbert de Prulli, Pierre d’Auvergne et Raymond de Meuillon, il eut cependant à raconter plus d’un épisode curieux de l’histoire du thomisme. Son étude sur Raymond de Meuillon le conduisit à une découverte curieuse, c’est que les œuvres de ce Raymond avaient été traduites en grec sous ses yeux. A propos de Jofroi de Waterford, il groupa d’autres faits qui mirent dans un grand jour les rapports des dominicains avec Constantinople et la connaissance que quelques membres de cet ordre purent avoir de la langue grecque. Ce fut le germe de recherches qu’il fit ou qu’il encouragea sur l’étude du grec en Occident durant le moyen âge. Les sermons furent aussi l’objet de ses recherches les