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mort de Charles Pougens. Ces nouvelles occupations l’obligèrent de quitter l’enseignement ; il renonça aussi peu à peu à la presse, et ne songea plus qu’à l’approbation de ses confrères. Quoique la littérature latine fût encore sa principale occupation, on peut croire que déjà il avait renoncé au vaste livre d’ensemble qu’il avait projeté. Il voulut au moins publier quelques parties de ses recherches, et de 1835 à 1837 il lut à l’Académie deux mémoires sur les Annales des pontifes et sur les Journaux chez les Romains. M. Le Clerc abordait ici un des problèmes les plus difficiles de la critique, un de ces problèmes d’origines qui demandent des dons particuliers et un certain tour d’esprit auquel nulle érudition ne supplée. L’école à laquelle appartenait M. Le Clerc s’exagérait le degré de créance que mérite la vieille histoire romaine. Oublieuse de ses gloires passées, la patrie de Beaufort, de Lévesque de Pouilly, de Barthélémy (telle avait été la décadence des études !), considérait comme une partie de l’orthodoxie classique, au moins aussi intolérante que l’orthodoxie religieuse, de croire à Romulus et à Numa Pompilius. Une complète ignorance de ce qui constitue la nature de la légende, une inintelligence absolue des procédés par lesquels se forme l’histoire populaire, faisaient tenir pour des rêveries les principes nouveaux que la critique allemande avait introduits. La France, étant le pays le moins riche en légendes, le pays qui s’est le plus éloigné de ses origines philologiques et mythologiques, ne pouvait créer ni la philologie ni la mythologie comparées. Wolf, Niebuhr, Bopp, Grimm, Strauss, ne pouvaient naître en France ; les questions d’origines devaient trouver chez nous défiance et défaveur. Notre droit philosophique et nullement traditionnel, notre manière d’expliquer par des combinaisons réfléchies l’établissement du langage, des croyances, des lois, des coutumes, nous rendent sur ce terrain inférieurs à l’Allemagne, laquelle parle encore la même langue qu’aux jours les plus antiques, connaît et aime ses vieilles fables, ses vieilles lois, ses vieilles coutumes, vit encore, si l’on peut ainsi parler, sur le vieux tronc aryen, tandis que l’empire romain est pour nous le terme extrême au-delà duquel nous ne remontons plus. M. Le Clerc, plein des idées du XVIIIe siècle, ne pouvait d’abord admettre des conceptions qui souvent, il faut le dire aussi, se présentaient sous des formes blessantes et avec beaucoup d’exagérations. A travers les défauts de Niebuhr, il ne sut pas voir son génie ; il ne distingua pas dans l’œuvre de ce grand homme les vues générales, qui sont admirables, et les hypothèses de détail, qui sont très souvent contestables. Bientôt du reste l’Académie, par une lumineuse divination, allait tirer notre savant maître de recherches où il n’avait pas tous ses avantages, et l’appliquer au