Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petit nombre de lecteurs. Celui qui s’y livre a d’ordinaire très peu de besoins ; il en a cependant. Le séjour à Paris lui est presque indispensable ; une vaste bibliothèque, des voyages littéraires lui sont nécessaires. Que deviendra-t-il dans un état social où des politiques qui se croient profonds ont visé systématiquement à rendre la vie chère et à faire de Paris une ville inhabitable pour quiconque ne mène pas une vie de luxe ? La conséquence de ce régime sera, si l’on n’y prend garde, un grand abaissement pour les parties les plus importantes de la culture de l’esprit.

Il y a satisfaction du moins, sur le seuil de ce triste avenir, à reposer sa pensée sur la vie tranquille d’un homme éminent qui traversa des jours meilleurs. M. V. Le Clerc a été proclamé par un de ceux qui l’ont le mieux connu, M. Naudet, le vrai bénédictin de notre âge. Sa paisible retraite de la Sorbonne fut pour nous durant des années le sanctuaire de la recherche savante et libre. Sa vie innocente et pure a été, malgré la différence des croyances religieuses, une image fidèle de ces vies saintes et graves dont le XVIIe et le XVIIIe siècle nous ont légué le souvenir comme une leçon éternelle de sérieux et de sincérité. Un sculpteur de rare mérite, son confrère à l’Institut, M. Guillaume, nous a rendu sa belle tête, toujours calme et pensive, sa bouche fine et souriante, ses yeux pleins de douceur. Nous voudrions aussi le montrer tel qu’il nous apparut tant de fois dans sa vieillesse respectée, ne vivant que de la passion du vrai, ferme en toutes ses convictions, décoré de la double noblesse de la science et de la vertu. Puissions-nous le rendre à la mémoire de ceux qui l’ont eu pour maître ou pour ami et le peindre à ceux qui ne l’ont pas connu en traits assez justes et assez vrais pour que cette peinture soit aux uns une consolation, aux autres une excitation à l’imiter !


I

Joseph-Victor Le Clerc naquit à Paris le 2 décembre 1789. Enfant unique d’une modeste famille d’ouvriers, il perdit son père en très bas âge. On était au plus fort de la tourmente révolutionnaire ; sa mère se trouva réduite à une grande pauvreté. C’était une femme courageuse et dévouée ; elle s’imposa les plus durs sacrifices pour donner de l’éducation à l’enfant dont la nature respectueuse et honnête se laissait déjà pressentir.

Dans l’ordre des études littéraires, la révolution avait tout détruit. Les anciennes institutions avaient disparu, les nouvelles n’étaient pas encore créées. Quelques survivans de l’Université de Paris et des congrégations religieuses vouées à l’enseignement