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phénomènes combinés. La submersion partielle des plaines du nord, l’extension des glaces, le climat devenu plus rude, le dessèchement des anciens lacs, le creusement des vallées et par-dessus tout l’action destructive de l’homme, telles sont les seules causes naturelles que l’on puisse invoquer, sans exclure celles que de nouvelles observations amèneraient à connaître.

Nous venons de voir les êtres passer successivement par tous les degrés qui séparent les premiers rudimens de la vie organique de ces combinaisons de plus en plus compliquées qui en constituent les manifestations dans les groupes supérieurs. Les êtres nouveaux, chaque fois qu’ils se détachent les uns des autres, demeurent cependant réunis par l’ordonnance commune du plan sur lequel ils ont été tracés. Une foule d’indices révèlent chez eux cette liaison mutuelle dont les vestiges sont très lents à s’effacer. Dans cet ensemble éminemment solidaire, rien n’autorise, ce semble, à admettre que les groupes d’individus les plus ressemblans, à qui l’on applique conventionnellement le nom d’espèces, aient été produits isolément les uns des autres. Toutefois jusqu’ici deux systèmes se partagent le monde savant relativement à cette origine. Les uns considèrent chaque unité spécifique comme une entité réelle, ayant son point de départ dans une création particulière et n’ayant subi depuis presque aucune altération. Les partisans de ce système s’appuient pour le soutenir sur plusieurs sortes de preuves, principalement sur l’immutabilité des espèces depuis les temps historiques les plus reculés, sur le peu de stabilité des variétés obtenues par la culture, sur la tendance de ces variétés à retourner au type dont elles émanent, sur la difficulté des hybridations et la stérilité assez générale des métis, enfin sur la faculté exclusivement commune aux individus de chaque espèce de se reproduire au moyen de descendans indéfiniment féconds entre eux, et cela malgré des diversités apparentes, quelquefois plus saillantes que les différences assez faibles qui séparent certaines espèces voisines.

Ceux qui s’attachent à ce premier système ont cependant à combattre une énorme difficulté, dont ils ne tiennent ordinairement qu’un compte très faible : c’est de faire concorder la théorie qu’ils préfèrent avec les faits paléontologiques. On ne saurait pourtant raisonner comme si le monde organique avait commencé tout entier en même temps que l’homme. Il faut nécessairement admettre une très longue durée depuis l’apparition des premiers organismes jusqu’à nos jours, et cette durée est en réalité presque incalculable. Dès lors, elle infirme singulièrement l’autorité de quelques expériences tentées depuis un petit nombre d’années, et même l’argument tiré du peu de changement qui se serait opéré dans les