Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

climat, et voici comment il procède. Observant les plantes principales, il en choisit quelques-unes dont l’affinité avec celles qui leur correspondent aujourd’hui est tellement étroite qu’elle a dû entraîner des. aptitudes identiques et par conséquent des exigences de température à peu près pareilles. C’est ainsi que M. Heer arrive à admettre pour l’époque d’OEningen une température moyenne annuelle d’au moins 18° 1/2 centigrades, c’est-à-dire à peu près celle des îles Madère et Canaries. La partie la plus importante des travaux de M. Heer a eu pour objet d’établir la mesure exacte de l’influence qu’exerçait la latitude dans l’Europe tertiaire. En France, des questions de ce genre ont rarement le privilège de passionner le public ; mais il en est autrement chez quelques-uns des peuples voisins, où les esprits savent mieux en saisir la portée et prêter aux recherches un concours actif ou sympathique. Grâce aux encouragemens que son projet a rencontrés en Angleterre et en Scandinavie, M. Heer a pu se procurer des plantes fossiles de presque tous les pays de la zone glaciale arctique. Les résultats de trois expéditions scientifiques envoyées par la Suède au Spitzberg en 1858, 1861 et 1863 lui ont été communiqués, ainsi que les collections recueillies en Islande par le professeur Steenstrup et le Dr Winckler, et déposées aux musées de Copenhague et de Munich. Il a visité à Londres et à Dublin d’autres collections qui sont le fruit des tentatives répétées faites pour rechercher les traces de John Franklin. Un voyage a même été organisé en Angleterre à son intention afin d’explorer la forêt pétrifiée d’Altanekerdluk, sur la côte occidentale du Groenland, vers le 70e degré, et de son côté le gouverneur de la colonie danoise a fait parvenir à Zurich de riches envois d’échantillons de plantes fossiles. M. Heer vient de publier les conclusions de toutes ces recherches. Il a montré que ces régions aujourd’hui inertes, cette terre à jamais glacée, avaient autrefois été ombragées de puissantes forêts qui de là s’avançaient peut-être jusqu’au pôle. Les pins, les séquoias, les cyprès-chauves, les magnolias, les chênes et les hêtres qui couvraient alors le Groenland, les tulipiers, les érables, les bouleaux, les ormes et les vignes qui peuplaient l’Islande, les platanes, les peupliers et les tilleuls du Spitzberg, n’étaient pas de chétifs arbustes, pareils à ceux qui rampent misérablement sur quelques points des terres boréales ; c’étaient des essences vigoureuses dont les troncs se montrent parfois et dont les feuilles présentent des dimensions surprenantes. Quoique distinctes à quelques égards des espèces que l’on observe dans notre hémisphère, surtout en Amérique, en redescendant de 20 degrés plus au sud, les anciennes formes polaires leur ressemblent cependant beaucoup. Certaines d’entre elles, comme les tulipiers, les platanes, les séquoias et les cyprès-chauves, sont même tellement voisines des